Ce que prévoit le plan d’urgence sur l’eau

Philippe Pottiée-Sperry
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Ce que prévoit le plan d’urgence sur l’eau

Présenté par le chef de l’Etat, le Plan eau contient une cinquantaine de mesures. Il prévoit notamment la modernisation des réseaux (20% de fuites en moyenne) en priorité dans les 2000 communes les plus fragiles. Le budget des agences de l'eau sera doté de 475 M€ supplémentaires par an?

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À Savines-le-Lac (Hautes-Alpes), Emmanuel Macron a présenté, le 30 mars, le Plan eau, affiché comme « une priorité de la planification écologique ». Reporté à plusieurs reprises et détaillé le lendemain par plusieurs ministres, dont Christophe Béchu, ce plan d’urgence contient 53 mesures et se définit avant tout comme « un plan de sobriété et d'efficacité pour l'eau dans la durée ». Avec le changement climatique, le cycle de l’eau a connu d’importantes modifications ces dernières décennies : épisodes de sécheresse comme durant l'été 2022, diminution du niveau des nappes phréatiques, changement du rythme des pluies... 
« Pour adapter notre politique de l’eau à ces enjeux, nous allons mettre les moyens : chaque année, par un investissement conjoint de l’État et des collectivités, ce sont près de 500 M€ supplémentaires que nous mobiliserons pour y parvenir », a indiqué le chef de l’Etat dans son discours.

Préparer l'été prochain
Il propose une série de mesures visant à redéfinir la politique de gestion de l’eau, en lien avec les élus et les collectivités. Ce « plan de sobriété et d'efficacité » a un double objectif. A court terme, il s’agit de préparer l'été prochain et d’éviter au maximum les coupures d'eau potable compte tenu des sécheresses à prévoir. Un Ecowatt de l'eau sera créé sur le modèle de l’Ecowatt pour l'énergie. « Cet Ecowatt de l’eau visant à responsabiliser l’usage de l’eau est une mesure pertinente », salue l’association France urbaine, ajoutant qu’elle « veillera à ce que chaque territoire, en fonction des ressources en eau disponibles, ait cet outil pour connaître les gestes à adopter et voir l'évolution de la situation ».
Chaque secteur devra présenter un plan de sobriété sur l'eau d'ici à l'été. A plus long terme, d'ici 2030, le Plan eau vise à faire 10 % d'économie d'eau dans tous les secteurs.
Les 53 mesures prévues dans le plan s’organisent autour de cinq axes : inscrire la sobriété dans tous les usages et dans la durée, lutter contre les fuites et moderniser les réseaux, investir massivement dans la réutilisation des eaux usées, planifier les usages de l'eau et accompagner les transformations des filières très consommatrices, mettre en place une tarification progressive et incitative de l'eau.

Moderniser les réseaux
L'un des grands axes du plan concerne la lutte contre les fuites et la modernisation des réseaux. Pas nouveau, le constat est inquiétant : 20% de fuites en moyenne dans les réseaux (jusqu’à 50% dans certains cas). 170 collectivités « points noirs » connaissent même des taux de fuites supérieurs à 50% ! « Une situation inacceptable », selon Emmanuel Macron. Et d’annoncer : « Pour accompagner les territoires les plus vulnérables, sur le court terme, nous mobiliserons 180 M€ pour traiter en priorité sur les 2000 communes fragiles, celles qui sont en situation les plus critiques ». Un montant qui sera reconduit chaque année de façon identique. « Nous allons travailler avec l'ensemble des maires qui ont la compétence de l'eau pour faire le maximum avant l'été et accélérer ces travaux », a précisé le chef de l’Etat.

Un plan infrastructures de la Banque des territoires
A cela s’ajoute un programme sur les infrastructures qui sera lancé par la Banque des territoires. Sur la période 2023-2027, il sera proposé 15 M€ de crédits d'ingénierie pour aider les communes à élaborer et mettre en œuvre les projets, un doublement de l'enveloppe de prêts mobilisables pour la gestion de l'eau et la Gemapi (jusqu'à 2 Md€) et des prêts à taux fixes pour des durées comprises entre 25 à 40 ans.
Concernant l’outre-mer, connaissant une situation tout particulièrement difficile comme en Guadeloupe et à Mayotte, le chef de l’Etat a annoncé 35 M€ supplémentaires par an pour accélérer la rénovation des réseaux.

Accélérer la réutilisation des eaux usées
Autre axe du plan : l’investissement massif dans la réutilisation des eaux usées mais aussi des eaux de pluie. Objectif : passer de 1% actuellement de retraitement des eaux usées à 10% d’ici à 2030, c’est-à-dire à 300 millions de m3, à l’instar de ce que parviennent à faire d’autres pays européens. 
Des simplifications de procédures administratives doivent contribuer à lancer 1000 projets sur cinq ans, en lien avec les collectivités, pour recycler et réutiliser l'eau. Un observatoire sur la réutilisation des eaux usées traitées sera mis en place cette année.
En 2024, un appel à manifestation d’intérêt spécifique à destination des collectivités littorales pour étudier la faisabilité de projets de REUT (réutilisation d'eaux usées traitées) sera lancé par l’État en partenariat avec l’Anel (Association nationale des élus du littoral) et le Cerema.

+ 475 M€ pour les agences de l’eau par an
Pour soutenir ces grands chantiers, le budget annuel de 2,2 Md€ des agences de l’eau va être augmenté de 475 M€. « C'est l'effort dont on a besoin pour déclencher au total environ 6 Md€ de plus dans l'économie de l'eau chaque année. C’est un vrai effort de la Nation », a indiqué Emmanuel Macron. Et d’ajouter que « le plafond de dépenses des agences de l'eau sera supprimé, ce qui lui permettra aussi de cofinancer avec les collectivités toutes les actions permettant de s'adapter aux conséquences du changement climatique ». Intercommunalités de France se félicite de cette suppression du « plafond mordant » des agences de l’eau, qui limitait jusque-là leurs recettes à 2,2 Md€.
Saluant l’augmentation des moyens d’intervention des agences de l’eau, l’AMF affirme néanmoins qu’« il faut veiller à ce que cela ne reste pas un affichage, que les moyens nécessaires rendent effective cette annonce et que cela ne se traduise pas par une étatisation du modèle français du service public de l’eau ». Pour sa part, France urbaine pointe « les nombreuses limites et imprécisions du projet de refonte des redevances des agences de l’eau tel qu’il est proposé à l’heure actuelle ».
Autre mesure annoncée : les Acqua-prêts, proposés par la Banque des territoires aux collectivités, vont passer de 1 à 2 Md€ avec « une offre d’accompagnement de bout en bout ». 

Mieux planifier
Le Plan eau prévoit de décliner ses objectifs territoire par territoire. Chaque grand bassin versant devra être doté, dès 2023, d’un plan d’adaptation au changement climatique précisant la trajectoire de réduction des prélèvements au regard des projections d’évolution de la ressource en eau et des usages. 
A l’horizon 2027, des objectifs chiffrés de réduction des prélèvements seront définis dans les documents de gestion de l’eau à l’échelle des 1100 sous bassins du pays, à savoir les schémas d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et les projets de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE). Lors de leurs révisions, tous les SAGE intégreront des trajectoires de prélèvement alignées avec les scénarios prospectifs. 

Améliorer la gouvernance
Pour améliorer la gouvernance de la gestion de l’eau, d’ici 2027, chaque sous-bassin versant sera doté d’une instance de dialogue (CLE) et d’un projet politique de territoire organisant le partage de la ressource. Dès cette année, les SAGE seront modernisés (fonctionnement simplifié des commissions locales de l’eau et portée du règlement conforté) et encouragés à définir des priorités d’usage de la ressource en eau ainsi que la répartition de volumes globaux de prélèvement par usage.
Par ailleurs, à partir de l’année prochaine, l’intervention des conseils départementaux en matière d’assistance technique et financière sera facilitée.

Tarification progressive de l’eau 
Autre mesure : la mise en place facilitée par les collectivités d’une politique tarifaire adaptée aux enjeux des territoires. Un volet spécifique sur la politique tarifaire va être intégré dans les contrats de progrès des départements ultramarins. 
Par ailleurs, le plan gouvernemental souhaite la généralisation d'une tarification progressive de l’eau, en concertation avec les élus, afin d’inciter à la sobriété. Sur ce sujet, le Cese (Conseil économique social et environnemental) va être saisi d’une mission. France urbaine indique que les expériences menées sur la tarification progressive de l'eau « conduisent à avoir des réserves sur le rapport efficacité-justice sociale, avec une attention particulière vis-à-vis des familles nombreuses et des logements sociaux collectifs ».

Les intercos satisfaites
À la suite des annonces d’Emmanuel Macron, Intercommunalités de France s’est félicitée qu’il plaide pour la mutualisation des politiques de l’eau pour faire face à l’urgence climatique. Selon une étude récente de l’association, 48 % des intercos sont compétentes en matière d’eau potable et 56 % en matière d’assainissement collectif. La mutualisation n’est pertinente, selon l’association, que si elle poursuit trois objectifs : la solidarité, des investissements à la hauteur des enjeux et la cohérence. Pour son président, Sébastien Martin, « l’intercommunalité est l’échelle la plus adaptée pour répondre à ces trois objectifs. Face à l’urgence climatique, il serait irresponsable de continuer la gestion de l’eau à l’échelle communale ».

Des schémas départementaux de l’eau ?
A la plus grande satisfaction de l’association Départements de France, ceux-ci pourront, comme ils le demandaient, exercer la maîtrise d’ouvrage déléguée des travaux nécessaires à la mise en œuvre d’un schéma départemental de l’eau dans les domaines de la production d’eau potable, de la création ou de l’aménagement de réserves d’eau ou d’interconnexion de réseaux, dès lors que ces travaux excèdent le périmètre d’un syndicat ou d’une interco compétents en matière d’eau. Une perspective qui n’est pas du goût de France urbaine qui redit « sa ferme opposition à la définition des schémas en eau potable à l’échelle départementale ». 

« La matrice des politiques publiques » 
« On ne peut que se réjouir des orientations pragmatiques et nécessaires annoncées », affirme de son côté le réseau France eau publique (FEP), qui réunit au sein de la FNCCR plus d’une centaine de collectivités et opérateurs publics de l’eau desservant 17,5 millions d’habitants. Au-delà, il demande de « changer fondamentalement de modèle pour faire de l’eau une véritable matrice des politiques publiques. Urbanisme, aménagement, agriculture, alimentation, énergie ou bien encore industrie : plus aucun projet de territoire ne devrait pouvoir être conçu sans intégrer l’eau dès l’amont, dans une approche dé-silotée et transversale ». 
Autre constat : la ressource en eau impose la solidarité. Selon Christophe Lime, président du réseau FEP, « elle nous oblige à travailler les uns avec les autres, pour mieux répondre aux intérêts des usagers, quels qu’ils soient, sans les opposer les uns aux autres. » Même si la technologie et les solutions innovantes sont très utiles, en particulier pour lutter contre les fuites, « la seule réponse véritablement durable pour permettre à chacun de disposer d’une eau potable accessible est d’éviter de polluer la ressource elle-même », souligne Christophe Lime.

Philippe Pottiée-Sperry
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