Loi Plein emploi : comment le maire devient l’échelon clé pour la réussite de France Travail

Etienne Gless
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L’ambition de France Travail est de territorialiser les politiques d’emploi

La loi Plein emploi a été adoptée définitivement le 14 novembre 2023. Elle transforme ainsi Pôle emploi en France Travail. Pour mieux comprendre les changements majeurs, Zepros a rencontré Thibaut Guilluy, Haut-commissaire à l’emploi et l’engagement des entreprises. Il revient sur la transformation de Pôle emploi et l’architecture de France Travail et précise la place qu’occuperont les collectivités dès le 1er janvier dans cette nouvelle organisation. Rencontre.

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Zepros Territorial : Où en est-on cet automne 2023 de la mise en route de France Travail ?
Thibaut Guilluy :  Il était important d’avoir au préalable un diagnostic et un plan d’action partagés par l’ensemble des acteurs qui oeuvrent à l’insertion, la formation et l’emploi dans le pays. C’était l’objet de la mission de préfiguration de France Travail que j’ai portée durant huit mois à la demande d’Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion, avec tous les acteurs : les départements, les régions, les communes et groupements de communes ainsi que les acteurs du service public de l’emploi (Pole emploi, missions locales…) et tous ceux qui sont au contact de entreprises et des publics les plus en difficulté. Mon rapport rendu en avril 2023 montre combien le système français est complexe, atomisé avec un enchevêtrement de compétences large ! J’ai formulé 99 propositions à l’issue de cette concertation, nourries d’expériences et initiatives pilotes identifiées dans les territoires, pour accélérer le retour à l’emploi des personnes et offrir de meilleures réponses aux besoins des entreprises sur leurs recrutements. Pour les mettre en œuvre, il fallait créer les conditions de cette transformation profonde du service public de l’emploi. C’est le sens du projet de loi Plein Emploi. Ainsi, le 23 octobre députés et sénateurs ont trouvé un accord sur le un texte final du projet de loi « plein emploi » qui porte notamment sur l’accompagnement rénové des personnes allocataires du RSA, sur la transformation de Pôle emploi en France Travail au 1 er janvier 2024 et sur une plus grande coopération de l’ensemble des acteurs au service du plein emploi dans chaque bassin de vie. Le texte doit encore être définitivement adopté par les deux chambres. Il sera voté au Sénat le 9 novembre et à l’Assemblée le 14 novembre. Parallèlement au Projet de Loi, nous avons également lancé des expérimentations pilote en lien avec les Départements de France pour éclairer par le terrain les principes d’action de la réforme du RSA.

ZT : Quel bilan dressez-vous de ces expérimentations du RSA rénové menées dans les territoires pour améliorer l’insertion des publics les plus éloignés de l’emploi ?
TG : Aujourd’hui 18 départements sont engagés dans l’expérimentation de l’accompagnement renforcé des allocataires du RSA : ce sont des départements aussi bien ruraux qu’urbains ou ultramarins comme l’Aveyron, le Nord, la Creuse, la métropole de Lyon ou La Réunion. Ces expérimentations RSA ont été co-construites entre les départements, Pôle emploi et l’État avec pour objectif d’assurer un réel accompagnement personnalisé à 100% des allocataires du RSA et d’augmenter significativement leur possibilité de retrouver un emploi. Devant les avancées très positives constatées avec l’Assemblée des départements de France nous allons proposer de passer à une quarantaine de départements pilotes dès 2024 et de poursuivre la montée en puissance au fur et à mesure des apprentissages pour généraliser l’accompagnement rénové 15-20h d’ici la fin du quinquennat. Une réforme par le terrain !

ZT : Vous ne touchez en rien aux compétences des départements ?
TG : Il n’était pas question de toucher à la compétence des départements sur l’insertion des bénéficiaires du RSA mais de leur donner les moyens de l’exercer plus efficacement et pleinement en mobilisant les ressources des autres acteurs et en améliorant la coopération. Difficile en effet d’assurer la réinsertion d’une personne au RSA sans pouvoir compter sur une offre de formations adaptée mise en œuvre par les régions, sur l’accompagnement à la recherche d’emploi assuré par Pôle Emploi ou sur les aides à la mobilité ou la garde d’enfants que peuvent apporter les communes. Aujourd’hui, seuls 40 % des allocataires du RSA sont inscrits à Pôle emploi. Résultat : au bout de 7 ans, seuls 11 % des allocataires du RSA parviennent à se réinsérer durablement dans l’emploi. Ce que l’on propose, et que l’on retrouve dans le projet de loi, c’est un réel accompagnement des bénéficiaires du RSA à la fois social et professionnel : un conseiller pour quelques dizaines de personnes seulement là où les conseiller Pôle emploi ou les travailleurs sociaux du département en ont parfois plusieurs centaines à suivre. Aujourd’hui, un allocataire du RSA n’a en moyenne que 3 contacts par an, mails compris avec son conseiller. Avec des portefeuilles resserrés, les professionnels pourront proposer à chaque personne des points d’étape réguliers, élaborer un plan d’actions d’au moins 15 heures hebdomadaires pour qu’elle reprenne confiance en elle, règle ses éventuelles difficultés et retrouve in fine plus rapidement sa voie et un emploi. Derrière un bénéficiaire du RSA, il y a des réalités multiples : un jeune en difficulté, une maman isolée qui élève plusieurs enfants, un agriculteur ou un travailleur indépendant qui travaille déjà mais qui a des revenus trop faibles… L’accompagnement doit donc être personnalisé : accès aux droits, aide à la mobilité ou la santé, formations qualifiantes ou permis de conduire, immersions en entreprises, dépôt de candidature ou ateliers CV. La palette d’activités pour faire que chaque jour qui passe puisse être consacré à retrouver une assise personnelle et accélérer son retour à l’emploi.

ZT : Quel rôle aura le comité local France Travail réseau de l’emploi dans l’architecture du nouveau dispositif ?
TG : L’ambition de France Travail est de territorialiser les politiques d’emploi. La bataille du plein emploi se gagne d’abord au niveau des bassins de vie et des bassins d’emploi car c’est à ce niveau de proximité que se joue l’accès au travail. C’est pourquoi pour la première fois nous proposons de bâtir la gouvernance de nos politiques d’insertion et d’emploi à partir de cet échelon local, dans une instance unique, le comité local France Travail pour l’emploi. S’y réuniront l’ensemble des acteurs qui agissent pour l’accompagnement des demandeurs d’emploi et des entreprises qui recrutent. Concrètement, pour remettre en emploi une maman au RSA qui élève seule un enfant en bas âge, je vais avoir besoin à la fois des moyens de la région pour lui payer la formation dont elle a besoin, de Pôle emploi pour la positionner sur les offres d’emploi du territoire et du maire de la commune pour accélérer l’accès à une place en crèche. Toutes ces décisions se prennent actuellement dans des comités différents. Nous lui substituons un comité unique coprésidé systématiquement par l’État et les collectivités locales. Nous voulons simplifier et unifier : l’objectif est de donner le pouvoir aux collectivités d’exercer au mieux leurs compétences. Nous devons connecter les acteurs pour faire en sorte d’apporter la bonne solution au bon moment à chaque entreprise et à chaque personne privée d’emploi dans ce pays.

ZT : Question : êtes-vous encore confronté à beaucoup de réticences de la part
des collectivités territoriales devant cette réforme ?
TG : Nous travaillons de manière rapprochée avec l’Assemblée des départements de France et avec François Sauvadet, son président. Nous avons coconstruit la réforme du RSA avec les départements. Cela a permis de lever les questionnements au fur et à mesure. Avec les régions, nous avons engagé plus récemment les démarches de préfiguration pour mieux organiser le continuum orientation, formation, emploi et développement économique qui se joue à leur échelon. Nous avons ainsi signé avant même que la loi ne soit votée des protocoles de partenariat État-Région-Pôle emploi et l’ensemble des parties prenantes dans des régions comme les Hauts-de-France avec Xavier Bertrand, la Bourgogne-Franche Comté avec Marie-Guite Dufay ou encore les Pays de Loire avec Christelle Morançais… Nous travaillons actuellement à la déclinaison de feuilles de route opérationnelles autour d’actions très concrètes pour améliorer l’efficacité de nos réponses au besoin des entreprises comme des demandeurs d’emplois : job boards unique, task forces de prospection entreprises, simplification des dispositifs de formation…

ZT : Les communes aussi avaient fait part de leurs inquiétudes...
TG : Le bassin de vie étant l’échelon clé pour la réussite de France Travail, le maire doit en devenir un acteur central. Aujourd’hui les maires n’ont que des outils « ad hoc » : les missions locales bien sûr sur l’insertion des jeunes, parfois les Plie (plan local d’insertion) ou les Maisons de l’emploi parfois qui constituent des outils précieux pour l’emploi sur leurs territoires. Avec France Travail, nous leur proposons d’aller plus loin en étant associés, au travers des comités locaux France Travail, à l’ensemble des politique
d’insertion, de formation et d’emploi de leur territoire. Ce« New Deal » est un des paris de
France Travail.

ZT : Quel est le calendrier du déploiement de France Travail ? Et combien d’argent y sera consacré ?
TG : La loi entrainera la transformation de Pôle Emploi en France Travail dès le 1 er janvier 2024 et la mise en œuvre des communs numériques, physiques et méthodologiques permettant aux acteurs du réseau pour l’emploi de mieux coopérer et apporter des réponses plus efficaces aux demandeurs d’emploi comme aux entreprises. L’inscription de tous à France Travail, les modalités d’orientation, la mise en place du contrat d’engagement et les dispositions en matière de sanctions seront mises en œuvre à compter du premier janvier 2025. Au-delà des dispositions légales, nous déployons dès présent les mesures concrètes pour améliorer l’accompagnement à l’emploi des personnes et le soutien au recrutement des entreprises, notamment les TPE et les PME. Sur le plan des moyens, il est prévu un budget de 300 millions d’euros supplémentaires en 2024, puis 500 millions en 2025, 750 millions en 2026 et un milliard en 2027 pour financer les programmes d’actions. Tous ces investissements ont vocation à favoriser la création d’emploi. De facto, ils participeront ainsi à l’amélioration de nos comptes publics. Au-delà des moyens dévolus à France Travail, le gouvernement poursuivra son effort en soutien des régions sur la formation des demandeurs d’emploi dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences, soit 3,9 milliards d’euros supplémentaires sur les 4 prochaines années. Enfin, l’État apportera en 2024 un financement de 170 millions aux départements dans le cadre de la contractualisation France Travail afin de soutenir leur effort en matière d’insertion et de retour à l’emploi des BRSA. Propos recueillis par Etienne Gless
 

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