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Mise en accessibilité : 1,5 Md€ et création de fonds territoriaux

Philippe Pottiée-Sperry
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Mise en accessibilité : 1,5 Md€ et création de fonds territoriaux

Parmi les 70 mesures présentées lors de la Conférence nationale du handicap, organisée le 26 avril, l’accessibilité, encore très en retard, a occupé une place importante. Au programme : un plan de 1,5 Md€, la création de fonds territoriaux dédiés ou d’une DSIL accessibilité.

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Ecole, emploi, accessibilité, services publics, culture, offre médico-sociale, soutiens financiers et humains… Organisée tous les trois ans, la Conférence nationale du handicap (CNH), la sixième du genre, a balayé tous les secteurs concernant les personnes en situation de handicap. 70 mesures concernent quelque 12 millions de Français et huit millions d’aidants. La CNH s’est tenue, le 26 avril à l’Elysée, en présence de nombreux représentants associations, d’élus et de ministres mais en l’absence du Collectif Handicaps (52 associations). 
Présent lors de la CNH, Jérémie Boroy, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), a dit comprendre « les impatiences, la colère et parfois le besoin de bousculer le système pour que nous puissions changer de logiciel sur le handicap en France ». Jugeant « fondamental » le sujet de l'accessibilité, il a pointé le « très grand retard de la France par rapport à nos propres lois et aux obligations que nous nous étions nous-mêmes fixées ». 

Déconjugalisation de l’AAH
En clôture de la CNH, Emmanuel Macron a fait une série d’annonces. Rappelant que le montant moyen de l’AAH (allocation adulte handicapée) avait augmenté de 20 % depuis cinq ans, il a indiqué que la déconjugalisation de l’AAH serait effective à compter du 1er octobre prochain : 120 000 personnes handicapées vivant en couple verront leur AAH augmenter de 350 € par mois en moyenne. 
De plus, les fauteuils roulants seront remboursés à 100%, à compter de 2024, ou 50 000 « solutions nouvelles » médico-sociales seront créées (2024-2030) pour répondre aux besoins des personnes handicapées et de leurs proches, en permettant notamment un rattrapage dans les territoires où l’offre reste insuffisante.

Plan de formation initiale et continue
430 000 élèves en situation de handicap scolarisés par l'Education nationale à la rentrée 2022, soit une hausse de 34% depuis 2017. Malgré ces résultats jugés positifs, grâce notamment au recrutement de 132 000 accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), la CNH a souligné « la nécessité d’engager l’acte II de l’école inclusive ». Premier engagement : chaque enfant disposera désormais d’un identifiant national élève (INE), y compris les enfants scolarisés dans les établissements spécialisés. 
Pour améliorer l’accompagnement dans les classes, un plan de formation initiale et continue des équipes pédagogiques sera déployé et des enseignants référents handicap et accessibilité pédagogique appuieront leurs collègues dans chaque circonscription pour le primaire et chaque établissement secondaire. 

Métier d’accompagnant à la réussite éducative
Autre engagement : les fonctions des AESH et des assistants d'éducation seront progressivement réformées et regroupées pour créer le métier d’accompagnant à la réussite éducative (ARE). Dès la rentrée prochaine, le chef de l’Etat a promis une augmentation de 10 % de la rémunération des AESH. 
Par ailleurs, les AESH qui le souhaitent pourront accéder à un temps plein et seront plus facilement rattachés à un établissement ou à un groupe d’établissements. De quoi faciliter le suivi des enfants sur le temps scolaire et périscolaire. Sans rentrer dans le détail de la répartition entre l’Education nationale et les collectivités, Emmanuel Macron a juste affirmé que « d'ici à la rentrée, la solution sera trouvée et financée ».

« Bonus de compensation » des Caf
Seront aussi déployés 100 établissements pilotes d'instituts médicoéducatifs intégrés physiquement dans les murs de l’école d’ici 2027. Le renforcement des solutions médico-sociales devra permettre une meilleure prise en charge des enfants en situation de handicap présents dans les structures de l’aide sociale à l’enfance (ASE). 
Dans les accueils de loisirs des enfants de 3 à 17 ans, les Caf mettront en place un « bonus de compensation » pour financer les adaptations et l’encadrement nécessaires à l’accueil des enfants handicapés. A compter de 2024, le surcoût devrait donc être pris en charge par les Caf. France urbaine demande que cela ne s’effectue pas par appel à projet annuel et plaide pour « une sécurisation pluriannuelle ». 
Par ailleurs, Emmanuel Macron a confié une mission sur l’enfance et le handicap à
Stéphane Haussoulier, président de la Somme et du groupe de travail Handicap et autonomie de Départements de France (DF). 

Résultat « très insuffisant » sur l'accessibilité
Depuis la loi du 11 février 2005, le niveau d’accessibilité s’est amélioré mais il reste énormément à faire. Emmanuel Macron reconnaît un résultat « très insuffisant ». « On n’a pas été assez fort et assez vite sur les établissements recevant du public » (ERP), poursuit Olivier Klein, le ministre délégué au Logement et à la Ville. Et de regretter « les nombreuses ruptures sur l’accessibilité » qui sont « inacceptables ». Aujourd’hui, 80% des villes ont mis en place un agenda d’accessibilité programmé (Ad’Ap) mais ça ne veut pas toujours dire de le réaliser ! 30% des 900 000 ERP repérés (sur un total de deux millions) ont lancé des travaux. « C’est notoirement insuffisant », constate Olivier Klein. 
Pour rappel, la loi « Handicap » du 11 févier 2005 avait fixé une échéance de dix ans pour la mise en accessibilité. Face au retard, un délai supplémentaire de neuf ans maximum a été accordé. « Ces neuf ans, c'est en 2024, nous y sommes : il est temps de considérer que l'inaccessibilité est un délit », pointe Jérémie Boroy, le président du CNCPH. 

Fonds territoriaux d'accessibilité
Parmi les principales annonces de la CNH : un plan de 1,5 Md€ sur cinq ans sera consacré par l’Etat à l’accessibilité du cadre bâti. Une DSIL (dotation de soutien à l'investissement local) « accessibilité » sera créée, à partir de l’année prochaine (2024-2028), pour soutenir la mise en accessibilité des ERP des collectivités « les plus fragiles financièrement ». Des annonces saluées notamment par France urbaine tout en jugeant qu’elles nécessitent d’être « précisées » notamment sur les « modalités financières choisies par l’Etat ». 
En pratique, les préfets seront chargés de programmer, en lien avec les collectivités, une politique de mise en accessibilité des ERP. Un fonds territorial d’accessibilité sera créé et confié aux préfets afin d’accompagner les ERP dans la réalisation de travaux nécessaires. Ces aides cibleront surtout les petits ERP de 5ème catégorie, les plus en retard. 

Dresser l’état des lieux du chantier
En 2024, un état des lieux du chantier devra être dressé. Avec une mise en place des fonds territoriaux d’accessibilité à compter de 2025. « Nous allons, avant l'été, décliner très concrètement cet engagement, en fixant une véritable programmation que nous allons suivre ensemble », a indiqué le chef de l’Etat. « Avec l’aide des préfets, il faut faire en sorte que les dispositions soient mises en place pour contrôler et, le cas échéant, sanctionner », précise Olivier Klein. 
Autre mesure prévue pour l’accessibilité des logements : l’ouverture au dispositif MaPrimeAdapt’ dès 2024 pour les personnes en situation de handicap.

Une charte signée avec les associations d’élus
Une charte pour « une société pleinement accessible » a été signée, lors de la CNH, par plusieurs ministres avec l’AMF, France urbaine, Départements de France et Régions de France. Elle prévoit la mise en place d’instances de gouvernance entre l’Etat et les collectivités. A travers cette charte, les signataires s’engagent à mobiliser tous les moyens humains, techniques et financiers pour mettre en œuvre les grandes orientations définies, chacune dans le respect des compétences de l’État et des collectivités. 
Ces grandes orientations devront être déclinées dans une feuille de route partagée permettant de matérialiser les engagements respectifs de l’État et des associations de collectivités dans les prochains mois. S’y ajoutera un comité de suivi et une restitution des avancées lors des comités interministériels du handicap (CIH) Les associations d’élus seront membres à part entière de ces instances.  

Une évaluation préalable 
Les questions de financement de toutes les mesures issues de la Conférence nationale du handicap et des CIH qui concernent les collectivités feront l’objet d’une évaluation préalable. France urbaine demande de « garantir une capacité de gouvernance territoriale et la lisibilité préfectorale sur l'ensemble du bâti, qui doit passer par une appréciation partenariale des enjeux et des priorités, des contractualisations territoriales et, le cas échéant, de systèmes de délégation de crédits pour garantir l'effectivité de telles mesures ». 
De même, Départements de France, tout en saluant la démarche globale, « reste vigilante sur les modalités de mise en œuvre et de financement des mesures annoncées ». 

Difficultés des zones rurales et péri-urbaines
Lors d’une table-ronde sur l’accessibilité, réunissant notamment des élus locaux, Sylvain Laval, maire de Saint-Martin-le-Vinoux (38), vice-président de Grenoble-Alpes Métropole et coprésident de la commission Transports de l’AMF, a estimé que « l’ensemble des élus sont conscients de la situation et veulent avancer ». « C’est peut-être sur le chemin de l’espace public qu’il y a encore le plus de travail », constate-t-il, en insistant sur « le besoin de simplifications administratives ». En matière de transports, comme pour les ERP, « le chantier est beaucoup plus compliqué pour les zones rurales et péri-urbaines, avec par exemple des autocars et des arrêts bien souvent pas accessibles », reconnaît l’élu. 
« Des solutions existent pour l’accessibilité », indique quant à lui Luis Beltran-Lopez, conseiller municipal délégué au Handicap et à l’Accessibilité de Grenoble et représentant France urbaine lors de la CNH. Et de préciser : « Il faut modifier profondément notre environnement, avec une méthode, des outils et surtout des moyens. Il faut aussi des chiffres et des outils d’observation simplifiés ». 

Accessibilité des sites de services publics 
Seulement 45% des sites de services publics sont aujourd’hui accessibles. Dressant ce constat, Stanislas Guerini, ministre de la Transformation et de la fonction publiques, s’est engagé à que les 250 démarches administratives en ligne les plus fréquentes soient accessibles d’ici 2025. Et a posé la date de 2027 pour l’accessibilité de tous les sites internet publics. 
Concernant l’insertion des agents publics handicapés, la CNH, prévoit plusieurs mesures à compter de 2024 : déploiement du mentorat, évolution du dispositif de titularisation des bénéficiaires de l’obligation d’emploi, mise en place d’un programme d’accompagnement à destination de ces agents, fixation d’un objectif de 6% d’apprentis handicapés… Certaines de ces mesures sont reprises dans le « manifeste pour une fonction publique inclusive », publié à l’occasion de la CNH.

Des annonces « peu volontaristes »
A l’issue de la CNH, le Collectif Handicaps regrette des annonces « peu volontaristes », le report d’un an des sanctions ou l’absence de précision sur les fonds territoriaux d’accessibilité « mis en place qu’en 2025 »… « Malgré des mesures intéressantes, le discours du président de la République déçoit par son flou et l’absence d’une programmation budgétaire pluriannuelle », estime-t-il. 
Le collectif estime, en outre, qu’il « ne répond que de manière très parcellaire à la récente décision du Conseil de l’Europe [décision publiée le 17 avril dénonçant une violation des droits des personnes handicapés et de leurs familles par l'État français et regrettant l'absence de "politique cohérente et coordonnée en matière de handicap" en France] : nous sommes très loin de l’approche par les droits réclamée par les associations ».

Philippe Pottiée-Sperry
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