Renforcer la cohésion numérique dans tous les territoires
Jugeant insuffisante la stratégie nationale pour réduire l’exclusion numérique, un rapport du Sénat formule vingt mesures au profit des acteurs locaux. Objectif : réduire les disparités territoriales.
L’objectif de l’Etat reste d’avoir des services publics « 100% dématérialisés » d’ici fin 2022.
A quelques mois de l’échéance, il semble pour le moins difficile à atteindre compte de la fracture numérique toujours importante en matière d’accès aux services publics, comme à emploi ou à l’éducation. La dématérialisation des démarches administratives demande un vrai accompagnement.
Selon une enquête réalisée par la Banque des territoires en 2020, 51% des personnes interrogées avaient déjà renoncé à effectuer une démarche en ligne, dont 68 % à cause de leur manque de clarté. Citant ces chiffres, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat pointe un bilan « alarmant » dans un rapport publié récemment.
« Une priorité nationale »
Les sénateurs ont aussi lancé une consultation en ligne auprès des élus locaux (1668 répondants dont 80% d’élus communaux et 17% intercommunaux). Objectif : identifier les obstacles rencontrés dans l’élaboration de projets locaux d’inclusion numérique et des pistes pour y remédier.
Parmi les résultats figure une forte méconnaissance des dispositifs nationaux d’inclusion numérique, surtout de la part des maires ruraux, dont une bonne part ne connaît même pas l’existence du pass numérique ou des Hubs territoriaux pour un numérique inclusif. Le rapport regrette un mauvais déploiement du pass numérique depuis sa mise en place en 2019. Les élus sont nombreux à demander des efforts de pédagogie de la part de l’État sur les enjeux de l’inclusion numérique et les solutions à mettre en œuvre. Autre constat : la persistance d’écarts importants entre les territoires en pointe sur le numérique et les autres, notamment en zone rurale, dans lesquels l’exclusion numérique peut accroître un sentiment de relégation.
Jugeant l’engagement de l’État encore « parcellaire et insuffisant », la rapporteure Patricia Demas (LR) appelle à faire de l’inclusion numérique « une priorité nationale ».
Des financements supplémentaires et pérennes
Le rapport sénatorial formule ainsi vingt recommandations qui se veulent « simples et pragmatiques au profit des acteurs locaux ». Elles s’articulent autour de trois axes : renforcer le pilotage de la politique nationale d’inclusion numérique (nécessité d’un cadre clair pour les acteurs locaux), mettre en cohérence la gouvernance locale, accentuer les efforts pour combler la fracture numérique dans les territoires (accès aux réseaux internet et accompagnement des usagers éloignés du numérique).
Le rapport évoque « un manque de clarté et de lisibilité » de la politique nationale d’inclusion numérique, dans son pilotage et à travers les dispositifs existants. Il pointe le pass numérique et les Hubs territoriaux qui « ne sont pas appropriés par tous les territoires ». Autre critique : les appels à projets (AAP) et à manifestation d’intérêt (AMI) pour financer les projets d’inclusion numérique « sont difficiles à anticiper ». Les sénateurs demandent une feuille de route nationale sur l’inclusion numérique, avec des objectifs clairs et un calendrier précis, ainsi que des financements supplémentaires et pérennes.
Renforcer la coordination entre les acteurs
Les interventions territoriales sur l’inclusion numérique sont brouillées par un fonctionnement en silo entre acteurs publics (chaque échelon de collectivité est fondé à agir), associatifs et privés. Les sénateurs ne préconisent pas pour autant la désignation d’un chef de file au motif que cela enverrait le signal aux autres collectivités d’être moins concernées. Ils plaident donc pour de la souplesse avec des « coalitions locales permettant de renforcer la coordination entre les acteurs ». Néanmoins, selon la consultation en ligne, une majorité d’élus est favorable à la désignation d’un chef de file et 60% désignent l’intercommunalité comme la plus pertinente pour cela (20% pour le département et 3% pour la région).
Autre constat : les outils de planification locale ne prennent pas assez en compte l’inclusion numérique. Le rapport propose donc de créer des commissions territoriales de l'inclusion numérique pour coordonner les interventions locales mais aussi d’intégrer un volet dédié dans les schémas directeurs d’aménagement numérique. Il insiste aussi pour renforcer les Hubs territoriaux dans leur rôle d’appui aux collectivités, en soulignant leur manque actuel de coordination de l’offre de médiation numérique.
52% des élus sans service de médiation numérique
Pour permettre l’accès partout aux réseaux internet, le Sénat défend le recours aux technologies sans fil ou hertziennes (THD radio, satellite et 4G fixe) pour les logements ne pouvant pas bénéficier de la fibre. Il demande de garantir l'existence du fonds de financement des raccordements complexes à la fibre, voire de l’augmenter si besoin, et de prolonger jusqu’en 2025 l'objectif du guichet « Cohésion numérique des territoires » pour assurer à tous l'accès au très haut débit.
Autre recommandation : des moyens supplémentaires à accorder aux collectivités pour la mise en place de projets d’accompagnement des personnes éloignées du numérique. Selon la consultation en ligne, 52% des élus ne disposent pas d’un service de médiation numérique sur leur commune ou à proximité. Les sénateurs préconisent d’utiliser la DETR (dotation d’équipement des territoires ruraux) pour l'acquisition d'équipements numériques afin d’accompagner les usagers. Sachant que les 4000 conseillers numériques ne sont pris en charge par le plan de relance que pour deux ans, le Sénat demande que leur financement soit prolongé au moins jusqu'en 2025. Il préconise également d’enrichir la plateforme « ressources » des collectivités de l’ANCT ou de développer l'offre de formation à l'inclusion numérique des agents territoriaux.