, mis à jour le 08/10/2025 à 15h02

Vidéoprotection : les petites communes n’ont plus le luxe d’attendre

Marc Pichaud
directeur du cabinet
Just Do IP
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"Les caméras dissuadent et rassurent ; elles contribuent à faire baisser les incivilités là où elles sont installées "

Dépôts sauvages, incivilités, petits trafics, dégradations… De plus en plus de maires de communes rurales et périurbaines franchissent le pas de la vidéoprotection. Si les caméras rassurent les habitants, elles soulèvent aussi des questions budgétaires, techniques et juridiques. Marc Pichaud, directeur du cabinet Just Do IP, accompagne de nombreuses collectivités dans leurs projets. Il détaille les enjeux d’un déploiement devenu, selon lui, incontournable.

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Qu’est-ce qui pousse aujourd’hui les petites communes à s’équiper ?

Les motivations sont très concrètes. On nous sollicite d’abord pour des problèmes du quotidien : dépôts sauvages, vols dans les zones artisanales, dégradations de bâtiments publics, ou encore des faits de petite délinquance qui progressent dans les bourgs. Les écoles sont aussi devenues un point sensible, avec la surveillance des abords pour prévenir les violences ou les trafics. Et puis, lorsque toutes les communes voisines s’équipent, ne pas avoir de caméras crée un sentiment d’insécurité et déplace les nuisances. Les référents sûreté de la gendarmerie encouragent donc les maires à mailler les entrées et sorties de commune afin de suivre une délinquance très mobile.

Comment ces projets sont-ils financés ?

Le financement reste le nerf de la guerre. Mais le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) se contracte fortement : en 2025, l’enveloppe nationale, de 22 millions d’euros, servira d’abord à éponger les dossiers non financés en 2024. En clair, il faut désormais compter sur des taux de subvention faibles – entre 10 et 20 % quand tout va bien, parfois zéro. Les communes doivent donc adopter des stratégies adaptées. Les communes rurales isolées, sans fibre départementale, ont intérêt à commencer petit, sur un nombre limité de caméras, avec un plan d’extension progressif. Les communes d’agglomération ou interconnectées peuvent, elles, mutualiser leur dispositif via l’intercommunalité, voire confier la supervision à une ville-centre mieux dotée, à condition d’adopter un standard technique commun.
Il faut garder à l’esprit que le coût d’un projet ne réside pas seulement dans la caméra. En centre-bourg, une caméra coûte environ 3 000 €, mais les réseaux (fibre, ponts radio, alimentation, génie civil, mâts) font grimper la facture à 10 000 – 15 000 € par point en entrée de ville. Et il faut ensuite assurer la maintenance !

Quelles garanties pour les libertés publiques et le respect du RGPD ?

Aucune caméra ne peut être installée sans autorisation préfectorale. Tout projet doit passer devant la Commission départementale de vidéoprotection, où siègent les services de l’État et les référents sûreté. Le dossier doit comporter un rapport détaillant les risques, les lieux concernés, la justification de la proportionnalité du dispositif, les durées de conservation des images, la liste des personnes habilitées à visionner les enregistrements et l’identité du délégué à la protection des données (DPO).
Dans les petites communes, cet aspect est souvent traité « au minimum vital », faute de compétences internes. Les assistants à maîtrise d’ouvrage (AMO) s’en chargent, mais il est essentiel de muscler les cahiers des charges sur la cybersécurité, la gestion des accès et le stockage. Les études d’impact RGPD sont encore rares alors qu’elles devraient être systématiques. Petit rappel : les communes ne peuvent pas créer de fichiers de plaques d’immatriculation – la lecture automatisée (LAPI) reste réservée à la police et à la gendarmerie.

Quels retours des communes déjà équipées ?

Globalement, les élus ne font pas marche arrière. Les caméras dissuadent et rassurent ; elles contribuent à faire baisser les incivilités là où elles sont installées, même si les problèmes se déplacent souvent dans la commune voisine. En revanche, deux difficultés reviennent sans cesse : d'abord, la maintenance, souvent oubliée dans le budget. Les images deviennent inutilisables quand les disques durs lâchent, que les dates sont erronées ou que les lentilles sont couvertes de poussière. Il faut prévoir un contrat d’entretien représentant environ 15 % du coût d’investissement par an. mais aussi la perte de maîtrise technique. Trop de collectivités dépendent entièrement de leur installateur. Il faut exiger la remise complète des DOE (dossiers d’ouvrages exécutés), des schémas techniques et des mots de passe, sans quoi la collectivité « repaye » à chaque changement de prestataire. L’acceptabilité sociale, elle, reste bonne. Quand les habitants comprennent que l’objectif est la protection des biens et des personnes, et que les usages sont encadrés, le soutien est large.

L’intelligence artificielle va-t-elle changer la donne ?

Le cadre juridique reste très flou. Les préfectures et la CNIL ne donnent pas toutes les mêmes interprétations. L’analyse comportementale est, pour l’instant, largement proscrite : impossible de détecter automatiquement un attroupement ou un dépôt sauvage, même si ce serait utile. Les grandes villes testent des usages statistiques (comptage de flux, taux de fréquentation, gestion du stationnement). Mais dans les petites communes, sans centre de supervision ni opérateurs formés, ces technologies sont encore peu exploitables. Pour l’instant, la vidéoprotection reste surtout dissuasive et post-événementielle.

Votre conseil aux maires qui hésitent encore ?

Ne pas attendre. Le besoin est là, les administrés le ressentent. Mais il faut le faire avec méthode : calibrer les ambitions au budget, s’appuyer sur des études de besoins, sécuriser la partie juridique et prévoir la maintenance dès le départ. Et surtout, mutualiser quand c’est possible. Ce qu’il manque aujourd’hui, c’est un référentiel national clair pour harmoniser les pratiques techniques et juridiques, éviter le bricolage et aider les petites communes à dépenser utile.

 

 

Danièle Licata, rédactrice en chef Zepros Territorial, décrypte enjeux publics et collectivités. Forte de 20 ans en presse économique, elle rend accessibles les sujets complexes avec passion et engagement.
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