Crise sanitaire : un bilan sévère des relations Etat-collectivités

Philippe Pottiée-Sperry
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Entretien avec Romain Pasquier, directeur de recherche au CNRS et titulaire de la chaire « Territoires et mutations de l'action publique » (TMAP) à Sciences-Po Rennes. Selon le chercheur, « la gestion de la crise sanitaire montre l’incapacité d’un Etat vertical à s’articuler avec les territoires ». Concernant les collectivités, il estime qu’elles « se sont révélées très réactives mais sans coordination globale entre elles ».

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Après un an de crise sanitaire, quel bilan tirez-vous des relations entre l'Etat et les collectivités locales ?

Depuis le début de la crise sanitaire, il n’y a rien eu de très nouveau dans les relations entre l’Etat et les collectivités. Mais cette crise a mis une lumière crue sur les défaillances, le déficit organisationnel de l’Etat et son incapacité à s’articuler avec les territoires. Premier constat : la verticalité de l’action publique se caractérise par une méfiance vis-à-vis des particularités et une incapacité à penser la différenciation. Le premier confinement généralisé en a été une caricature alors que l’épidémie se concentrait surtout sur l’Ile-de-France et le Grand Est. Avec pour conséquence un blocage de l’économie et une des pires récessions de la zone euro. Face à cela, on a vu une fronde des élus locaux, mis complètement de côté dans la gestion de la crise. La préparation du déconfinement a semblé mieux les prendre en compte. Mais une fois les temps difficiles revenus, les réflexes jacobins se sont reproduits avec des élus très peu associés au second confinement et prévenus parfois au dernier moment ! Même chose pour la préparation de la stratégie vaccinale avec un ministère de la Santé qui décide tout seul alors qu’il aurait fallu associer en amont les associations d’élus. Elles ont été réactives en interpellant l’Etat mais n’ont pas été entendues.

Y-a-t-il eu un premier retour d’expérience ?

Non, pas du tout. Dans les relations de l’Etat envers les collectivités, c’est la stratégie permanente du stop and go. Ce sont les faits qui poussent l’Etat à territorialiser mais avec parfois des différences de traitement comme entre le Dunkerquois et l’Ile-de-France. Abandonnant sa posture de sachant sur la crise sanitaire, il agit au jour le jour en fonction des remontées du terrain. Mais son logiciel n’a pas changé pour autant, l’Etat n’a pas revu son mode de coordination avec les collectivités. D’une certaine façon, c’est trop tard, il aurait fallu le faire dès l’été dernier, pour préparer la seconde vague annoncée et anticiper la stratégie de vaccination.

Que pensez-vous du phénomène d’agencification ?

Depuis vingt ans, la perte d’efficacité de l’Etat découle également de la création de nombreuses agences. Ce phénomène d’agencification lui a fait perdre sa capacité de coordination, notamment au niveau territorial. Le préfet n’y est plus vraiment le patron de l’Etat. Même si durant la crise, il a repris progressivement la main, la coordination entre services de l’Etat demeure très difficile. Cela s’est vu par exemple dans le défaut d’articulation entre le préfet et l’ARS (agence régionale de santé). Le préfet de région n’a aucune autorité sur le directeur de l’ARS, nommé comme lui en conseil des ministres. La complexité de l’organisation étatique, liée à l’agencification, a provoqué durant la crise sanitaire une embolie ralentissant beaucoup les processus de décision et créant une cacophonie de communication d’un ministère à l’autre. Le fonctionnement interministériel s’est révélé parfois chaotique.

Comment jugez-vous la gestion de crise par les collectivités ?

Le pendant de la verticalité de l’Etat c’est le millefeuille institutionnel français avec une fragmentation politique unique en son genre. Durant la crise, les collectivités se sont révélées très réactives, mais parfois dans une certaine cacophonie et sans coordination globale entre elles. Il y a eu un peu de coordination entre mêmes niveaux de collectivités – les départements pour les laboratoires d’analyse ou les régions pour l’économie – mais quasiment pas entre les différents niveaux, laissant parfois la place à certaines concurrences. Mais cela n’a jamais égalé l’attitude de l’Etat lorsqu’il a réquisitionné sur le tarmac de certains aéroports régionaux les masques commandés par les collectivités !

Votre constat est-il le même sur l’élaboration du plan de relance ?

Exactement ! Même si l’Etat et les collectivités sont habitués depuis vingt ans à contractualiser, cela se fait toujours sur le même modèle : l’Etat vient à la négociation avec un noyau dur non négociable de priorités (70 à 80% du contrat !) et les collectivités peuvent juste avancer leurs priorités sur les 20-30% restants. C’est le même fonctionnement qui s’est passé avec le plan de relance : l’Etat a défini ses priorités, en a informé les collectivités mais sans les associer à la conception. Tout s’est décidé à Bercy ! Le plan de relance est donc à l’image de la stratégie sanitaire et plus globalement du modèle français de politique publique qui repose sur une verticalité et des ajustements territoriaux résiduels.

Concernant les nouveaux contrats de relance et de transition écologique (CRTE), ils vont dans le bon sens grâce à leur dimension intégratrice. Mais il faudrait aller plus loin et s’inscrire dans une co-construction équilibrée, ce dont je doute car l’Etat préfère maintenir le schéma habituel. Il a de moins en moins d’ingénierie sur le terrain et cherche donc à limiter les interprétations différenciées des dispositifs qu’il développe avec les territoires. Ce formalisme excessif limite toute forme d’innovation.

Que pensez de la différenciation territoriale ?

Ce sujet est très important. On s’est refusé très longtemps à lâcher la bride à des territoires voulant aller plus vite et plus loin sur certaines politiques publiques, ce qui serait un levier d’innovation. Contre ce mouvement, certains agitent toujours les risques d’inégalité. Mais ces risques existent déjà et s’accroissent. La différenciation ne pourra fonctionner qu’à la condition d’engager une vraie réforme de la fiscalité locale, avec des dispositifs transparents de péréquation entre les territoires. La nouvelle loi sur la différenciation, adoptée par le Parlement, est intéressante mais ne va pas très loin.

Le projet de loi « 4D » peut-il être un levier pour faire évoluer l’action publique ?

Il faut avoir une vraie réflexion sur l’efficacité de l’action publique. Je ne crois pas que le projet de loi « 4D » pourra répondre à ces questions, d’autant qu’il n’est pas certain d’être adopté avant la fin du quinquennat. En conséquence, le débat sur la réforme de l’action publique devrait avoir lieu durant la campagne présidentielle de 2022. Même s’il est un peu technique, il apparaît plus que jamais nécessaire compte tenu du très faible niveau de confiance envers les institutions.

Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry

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