La mise en place du télétravail dans la FPT
Par Marjorie Abbal, avocate au cabinet Seban & Associés
La possibilité de recourir au télétravail dans la fonction publique a été posée à l’article 133 de la loi du 12 mars 2012, dite "loi Sauvadet", visant à faciliter l’accès au statut de fonctionnaire des agents contractuels et à améliorer leurs conditions d'emploi. Le décret du 11 février 2016 contient les dispositions d’application. Peu envisagé dans les collectivités locales avant la crise sanitaire, le télétravail est aujourd’hui une forme d’organisation du travail dont la pérennisation, si elle n’est pas déjà actée, est grandement sollicitée.
Le télétravail doit-il obligatoirement être mis en place ?
En juin 2020, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt annulant le refus du ministre de tutelle d’un établissement public de l’Etat de prendre l’arrêté visé par le décret, équivalent à la délibération en collectivité, en considérant qu’il aurait été tenu de « prendre dans un délai raisonnable l'arrêté fixant les modalités de mise en œuvre du télétravail » (CE, 10 juin 2020, UATS-UNSA c. LADOM, req. n° 435574). On pouvait se demander si l’arrêt était transposable à la fonction publique territoriale (FPT) en ce qu’une telle solution, obligeant les collectivités à adopter une délibération posant les modalités de mise en œuvre du télétravail, pourrait s’inscrire a contrario de l’article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités.
L’obligation existe-t-elle pour la FPT ?
Par un arrêt du 3 juin 2021 (req. n° 19LY02397), la Cour administrative d’appel de Lyon s’est positionnée en jugeant que les dispositions réglementaires issues des articles 5 et 7 du décret du 11 février 2016 « n'ont pas pour effet de porter atteinte à la libre administration » ni pour autant de « poser un droit individuel au télétravail ». A la lire, « il appartient à l’organe délibérant d’organiser la mise en œuvre du télétravail dans la collectivité selon la nature et les conditions d’exercice des activités et missions qu’elle exerce ». On pouvait s’interroger sur le point de savoir s’il doit être tiré de cet arrêt une absolue certitude quant à l’obligation stricte pour une collectivité de prévoir des missions comme pouvant être télétravaillées car l’arrêt indique aussi que ces dispositions « donnent à leur organe délibérant la faculté d’ouvrir aux agents la possibilité de demander de recourir au télétravail, par la désignation des tâches et missions qu’il estime éligibles à ce mode d’organisation du travail », ce qui impliquerait, puisqu’il est mentionné une faculté et non une obligation, qu’il resterait possible de ne désigner aucune mission télétravaillable.
Le 13 juillet 2021, au titre de l’ordonnance du 17 février 2021, un accord a été conclu au niveau national sur ce point de la mise en place du télétravail. Il indique que les employeurs des trois fonctions publiques doivent engager des négociations avant le 31 décembre 2021 s’ils ne l’ont pas déjà fait.
Quelle est la procédure de mise en place ?
L’article 7 du décret de 2016 prévoit la procédure de mise en place du télétravail en indiquant qu’une délibération de la collectivité est prise, après avis du comité technique, pour déterminer : les activités éligibles au télétravail ; les locaux professionnels éventuellement mis à disposition par l’employeur ; les règles relatives au temps de travail, à la santé et à la sécurité au travail ; les règles de sécurité liées aux systèmes d’information ; les modalités de contrôle et de comptabilisation du temps de travail ; les conditions dans lesquelles une attestation de conformité des installations est établie.
L’ordonnance du 17 février 2021 a aussi instauré la possibilité pour les collectivités de conclure au niveau local des accords collectifs, notamment s’agissant du télétravail. L’accord du 13 juillet 2021 évoque exclusivement les accords qui pourraient en découler, de sorte que l’on peut s’interroger sur une évolution du décret sur le télétravail qui viendrait faire des accords la voie procédurale dédiée.
Qui accorde l’autorisation de télétravail et dans quel cadre ?
C’est l’autorité territoriale qui, dans un délai d’un mois suivant la réception d’une demande, apprécie la compatibilité de la demande de télétravail au regard de la nature des fonctions exercées et de l’intérêt du service, dans une réponse écrite. En cas de rejet, l’accord du 13 juillet 2021 stipule une possibilité de saisine de la CAP ou de la CCP.
Que contient l’autorisation de télétravail ?
Elle doit préciser les fonctions exercées par l’agent en télétravail comme le lieu ou les lieux d’exercice des fonctions. Ainsi, on peut envisager que l’employeur refuse qu’une résidence soit choisie par l’agent si la distance entre celle-ci et son lieu d’affectation met l’agent dans l’impossibilité de rejoindre son site dans des délais raisonnables en cas de nécessité de service.
L’autorisation doit aussi préciser : les modalités de mise en œuvre du télétravail et sa durée ; les plages horaires durant lesquelles l’agent est à la disposition de son employeur et peut être contacté ; la date d’effet de l’autorisation ; la période d’adaptation prévue et sa durée.
Matériellement, quelles sont les implications ?
Le décret indique que l'employeur prend en charge les coûts découlant du télétravail : coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils… L’accord du 13 juillet 2021 va au-delà en envisageant une indemnité journalière de télétravail de 2,5 € par jour de télétravail, sans seuil de déclenchement, dans la limite d’un montant de 220 € annuels, en précisant qu’en collectivité la mise en œuvre de l’indemnisation s’inscrit dans le cadre du principe de libre administration des collectivités. L’évolution du décret sur le télétravail sur ce point reste à surveiller.
Pour un agent en situation de handicap, l’autorité territoriale doit mettre en œuvre sur son lieu de télétravail les aménagements de poste nécessaires. S’agissant des frais de transport du domicile à la collectivité, ils ne nous paraissent pas s’entendre de coûts directs, et doivent ainsi rester régis par le décret du 21 juin 2010..
Existe-t-il une quotité maximale et des dérogations ?
Oui. L’article 3 du décret indique que la quotité de temps de télétravail hebdomadaire est de trois jours maximum, soit un minimum de deux jours de présence sur le lieu d’affectation de l’agent. Il est possible d’adapter cette quotité sur une base mensuelle. Il s’agit à notre sens d’un maximum qui ne saurait obliger les collectivités, c’est-à-dire qu’elles peuvent considérer en adoptant la délibération que, en leur sein, le maximum est d’un ou deux jours.
Les dérogations à ce maximum sont envisagées à l’article 4 :
- lorsqu’une situation inhabituelle perturbe temporairement l’accès au service ou au travail sur site,
- pour les agents dont l’état de santé, le handicap ou l'état de grossesse le justifient, après avis du médecin de prévention, pour six mois maximum (renouvelables).
L’accord du 13 juillet 2021 étend la dérogation au proche aidant, suivant une prochaine modification du décret de 2016. Dans un tel cadre, l’agent peut être autorisé à utiliser son équipement informatique personnel. A noter également que l’article 2-1 du décret prévoit que l’autorisation de télétravail est délivrée pour un recours régulier ou ponctuel au télétravail et qu’elle peut soit prévoir l'attribution de jours de télétravail fixes au cours de la semaine ou du mois soit l'attribution d'un volume de jours flottants de télétravail par semaine, mois ou an.
La cessation du télétravail est-elle encadrée ?
Il peut cesser à tout moment au cours de la période d’autorisation, à l’initiative de l’administration ou de l’agent, au moyen d’un écrit et en respectant un délai de prévenance de deux mois. Si l’administration souhaite mettre fin au télétravail pour nécessité de service, ce délai peut même être écourté en cas de nécessité de service dûment motivée. Comme pour le refus, l’interruption du télétravail par l’administration doit être motivée et être précédée d’un entretien avec l’intéressé.
L’accident en télétravail est-il régi par des dispositions spécifiques ?
Il n’existe pas de texte spécifique à l’accident de service de l’agent en télétravail en dehors de la précision du décret de 2016 selon laquelle « les agents exerçant leurs fonctions en télétravail bénéficient des mêmes droits et obligations que ceux exerçant sur leur lieu d’affectation » (article 6). Suffisante, cette référence oblige à reprendre les conditions posées par l’article 21 bis II de la loi du 13 juillet 1983 qui instaure une présomption d’imputabilité au service de l’accident survenu sur le lieu (ici le domicile) et le temps de travail (selon les horaires habituels).
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