Covid-19 : ce que contient la loi d’urgence
Le projet de loi d'urgence prévoyant des mesures exceptionnelles pour lutter contre la pandémie de coronavirus a été adopté le 22 mars au Parlement à l’issue d’une commission mixte paritaire conclusive. Publié au Journal officiel du 24 mars, le texte a connu de nombreux débats, en particulier sur les municipales.
Le ministère de la Cohésion des territoires a réalisé une note synthétique des mesures qui concernent les collectivités territoriales et leurs groupements. Une partie importante traite des municipales (premier et second tour) avec l’organisation de la période transitoire et des scrutins à venir.
L'état d'urgence sanitaire est instauré dès la promulgation de la loi, et cela pour une durée de deux mois. La loi donne un cadre légal aux dispositions d’exception mises en œuvre depuis le 16 mars. Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, le Premier ministre peut prendre des mesures exceptionnelles précises limitant la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion et la liberté d’entreprendre, aux seules fins de garantir la santé publique. De plus, il dispose du pouvoir de prendre toute autre mesure réglementaire limitant la liberté d’entreprendre.
« Les collectivités ont un rôle à jouer dans cette crise »
« Nous devions sécuriser toutes les mesures prises dans l’intérêt des Français pour les protéger », a déclaré Yaël Braun Pivet, présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale, pour expliquer la nécessité de ce texte. Pour sa part, Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat, considère que « l’impératif sanitaire doit primer en toute circonstance, dans un esprit de consensus et d’union républicaine ». A noter également la déclaration de Bruno Retailleau, sénateur LR de la Vendée et président du groupe LR au Sénat, qui plaide pour un durcissement du confinement. « Il faut aller plus loin et il faut décentraliser pour plus d’efficacité. Les collectivités ont un rôle à jouer dans cette crise. Dans certains territoires où il n’est pas bien respecté, il faut instaurer un couvre-feu ».
Des sanctions plus sévères
En pratique, le gouvernement peut restreindre ou interdire par décret la circulation des personnes et des véhicules dans des lieux et à des heures fixées ou ordonner la fermeture provisoire d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services de première nécessité. A noter que les agents de police municipale, les gardes champêtres et les agents de surveillance de la ville de Paris peuvent également constater les infractions en dressant des procès-verbaux.
Les sanctions en cas de violation des règles prévues, à l’exception des réquisitions, sont durcies avec une gradation. En cas de première violation, l’amende s’élève à 135 €. En cas de récidive dans un délai de 15 jours, elle atteint 1500 €. Enfin, lorsque plus de trois violations sont verbalisées dans un délai de 30 jours, la sanction est alors de six mois d’emprisonnement et de 3750 € d’amende ainsi que d’une peine de travail d’intérêt général et d’une suspension du permis de conduire pour trois ans ou plus si un véhicule avait été utilisé.
Suppression « temporaire » du jour de carence
Le gouvernement a finalement accepté de supprimer de façon temporaire le jour de carence. Après plusieurs jours de tension, surtout avec les acteurs de la FPT, le Premier ministre a annoncé, le 21 mars devant les députés, sa décision « pour la seule période de l’urgence sanitaire, de suspendre les dispositifs de jour de carence dans le secteur privé comme dans la fonction publique ». Une décision saluée par l’intersyndicale fonction publique (CGT, FA-FP, FO, FSU, Solidaires) qui dénonce tout de même « de longues et inadmissibles tergiversations ». Sans surprise, elle continue de demander « l’abrogation totale et définitive de cette mesure, quelle que soit la période ». Philippe Laurent, le porte-parole de la Coordination des employeurs territoriaux (AMF, AMRF, APVF, Villes de France, France urbaine, AdCF, ADF, Régions de France, CNFPT, FNCDG, collège employeurs du CSFPT), s’est également félicité de cette décision.
Les jours précédents, le refus du gouvernement était devenu un sujet de crispation forte avec tous les acteurs de la FPT qui réclamaient unanimement de suspendre l’application du jour de carence pour les agents publics victimes du coronavirus. Le 20 mars, Philippe Laurent jugeait ainsi le refus du gouvernement « totalement incompréhensible ». Et de préciser : « L’amendement proposé aux sénateurs par la Coordination des employeurs publics territoriaux pour supprimer le jour de carence applicable aux fonctionnaires atteints du Covid-19, unanimement souhaité par l’ensemble des employeurs territoriaux et des organisations syndicales, a été déclaré irrecevable et n’a pas été repris par le gouvernement au terme, semble-t-il, d’un bras de fer entre le secrétaire d’Etat, favorable à la disposition, et d’autres ministres et administrations, refusant d’accroître la dépense publique ! ».
Sévère, Stéphane Pintre, le président du SNDGCT, a estimé le même jour dans une interview à la Gazette des communes que ce refus relevait d’une « mesquinerie sans nom, comme si cette suspension du jour de carence allait aggraver la dégradation des finances publiques ». De son côté, Johan Theuret, président de l’association des DRH de grandes collectivités, a dénoncé « un « entêtement et un dogmatisme incompréhensible » de la part du gouvernement.
Suspension des « contrats de Cahors »
Par ailleurs, la loi d’urgence permet au gouvernement de prendre des ordonnances sur les municipales : organisation du second tour et de la campagne électorale ; financement et plafonnement des dépenses électorales ; consultation des listes d’émargement ; organisation de l’élection des maires et des adjoints mais aussi des présidents et vice-présidents des intercommunalités...
D’autres ordonnances seront prises pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l’exercice de leurs compétences, ainsi que la continuité budgétaire et financière des collectivités. Certaines de ces mesures pourront entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020.
A noter que la loi d’urgence reporte d’ores et déjà la date limite d'adoption des budgets locaux au 31 juillet 2020. De plus, elle prévoit de ne pas prendre en compte des dépassements de dépenses de fonctionnement par dérogation aux contrats de maîtrise des finances publiques, dits « contrats de Cahors », au titre de l’année 2020.
Autre mesure : il ne peut pas être mis fin, pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, à la prise en charge par le conseil départemental, au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE), des majeurs ou mineurs émancipés précédemment pris en charge.
Second tour des municipales reporté en juin
Si le projet de loi a mis plus de temps que prévu à être adopté, l’explication réside surtout dans des désaccords relatifs aux municipales. Au final, les sénateurs ont eu globalement gain de cause. Le second tour pour près de 5000 communes est reporté au plus tard en juin prochain. La date sera fixée par décret le 27 mai si la situation sanitaire permet la tenue du scrutin au regard du rapport du comité de scientifiques, rendu le 23 mai. Les déclarations de candidature à ce second tour seront déposées au plus tard le mardi qui suit la publication du décret de convocation des électeurs. Les sénateurs n’ont pas réussi à imposer la date limite du 31 mars comme ils l’avaient votée initialement. L’organisation du second tour, notamment pour les règles de dépôt des candidatures, sera traitée par une ordonnance. Concrètement, si le second tour peut se tenir, le dépôt des listes se fera le mardi 2 juin, la campagne débutera le 8 juin et les élections auront lieu le 21 juin.
« Dans tous les cas, l’élection régulière des conseillers municipaux et communautaires (…), élus dès le premier tour organisé le 15 mars 2020, reste acquise », précise la loi, suite à la demande expresse des sénateurs.
Installation des maires élus au premier tour en juin
Le comité de scientifiques examinera également les risques sanitaires et les précautions à prendre pour l’élection du maire et des adjoints dans les communes où le conseil municipal a été élu au complet dès le premier tour comme pour les réunions des conseils communautaires. Ces élus entreront en fonction à une date fixée par décret au plus tard en juin. Là aussi au regard de la situation sanitaire jugée par le comité de scientifiques. La première réunion du conseil municipal se tiendra de plein droit au plus tôt cinq jours et au plus tard dix jours après cette entrée en fonction. Conséquence : les élus en exercice avant le premier tour conservent leur mandat jusqu’au second tour. Par dérogation, dans les communes de moins de 1000 habitants pour lesquelles le conseil municipal n’a pas été élu au complet, les élus au premier tour entrent en fonction le lendemain du second tour de l’élection.
Pour assurer la continuité des services publics locaux et des institutions, la loi proroge les mandats et les délégations de tous les élus municipaux et communautaires jusqu’à la fin de la période de « gel » liée à la crise sanitaire.
Des mesures d’urgence économique
La loi permet aussi au gouvernement de prendre par ordonnance des mesures afin de faciliter, accompagner et renforcer le recours à l’activité partielle, de permettre le report intégral ou l’étalement du paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité des locaux professionnels et commerciaux, ainsi que de soutien à la trésorerie des entreprises.
Pour soutenir les salariés, un accord d’entreprise ou de branche sera nécessaire pour permettre aux employeurs d’imposer à leurs salariés une semaine de congés payés pendant la période de confinement.
Philippe Pottiée-Sperry