Pascal Fortoul, président de l’ADGCF (1) : « Il faut un aggiornamento de l’action publique locale »

Philippe Pottiée-Sperry
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Comment jugez-vous le projet de loi « Fonction publique » ?

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Ce texte nous convient dans son ensemble. Il est en droite ligne de ce qu’on avait pu proposer il y a deux ans en matière de statut de la FPT. Nous regrettons cependant que n’ait pas été retenu, au moins à titre expérimental, notre proposition d’administration locale unique, au niveau de la commune et de l’intercommunalité. Il s’agirait d’avoir un seul employeur au niveau intercommunal qui mettrait à disposition des communes et à leur demande le personnel nécessaire pour leur fonctionnement. Ce personnel resterait donc sous l’autorité des élus communaux. Cela permettrait d’avoir une meilleure vision des effectifs d’un territoire et de mettre en place une véritable GPEC [gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences] qui reste aujourd’hui très difficile.

Bien que seule sur cette position, l’ADGCF est persuadée qu’il s’agit là de l’avenir des territoires. Nous ne voulons pas prendre la place des centres de gestion qui doivent demeurer sur leurs missions historiques et être avant tout des tiers de confiance. Ils ont un rôle fondamental à jouer sur les problématiques de carrière, de sanctions disciplinaires, de médecine du travail, etc. Pour sa part, le SNDGCT évolue sur ce sujet de l’administration locale unique. Au début, il y voyait avant tout une mort des DG de communes alors que ce n’est pas du tout cela.

Recours accru aux contractuels, création du contrat de projet, mobilité favorisée, simplification des instances paritaires… Soutenez-vous ces dispositions ?

Nous soutenons les dispositions sur l’élargissement du recours aux contractuels ou la création du contrat de projet que nous réclamons depuis longtemps. Cela est vraie nécessité notamment quand on voit les situations parfois très compliquées avec les préfectures qui peuvent déférer facilement nos décisions devant le tribunal administratif. La nouvelle loi constitue donc ici une bonne chose. Même constat en matière de mobilité quand on voit la situation actuelle très compliquée avec même une quasi impossibilité de mobilité vers le secteur privé. Concernant la simplification des instances paritaire, l’ADGCF l’a toujours appelé de ses vœux. Ne pas devoir passer deux fois devant le comité technique dans certains cas est plutôt une bonne chose et ne me choque pas. Ce n’est surement pas la fin de la fonction publique et de son statut ! Concernant la rupture conventionnelle, elle existe déjà avec l’indemnité de départ volontaire et des agents la demandent parfois. Mais elle reste très encadrée et la loi la facilitera en ouvrant de surcroit le droit au chômage.

Durant plus d’un an, vous avez engagé tout un travail sur la décentralisation. Pourquoi ?

Lors de l’assemblée générale de l’ADGCF, en octobre 2017 à Nantes, nous avons été interpellés par des collègues sur le sens de l’action publique après la loi NOTRe. Il y a eu des transferts de nombreuses compétences, parfois très compliqués avec plusieurs intercommunalités ayant fusionné ou des compétences à rendre aux communes. Cela a été une période difficile pour certains collègues ayant perdu leurs postes. Au-delà du discours classique sur la rationalisation et les économies générées, on ne s’est jamais vraiment interrogé sur les apports et l’évolution de la décentralisation depuis 40 ans. D’où l’idée de lancer une vaste étude sur le sujet avec une méthodologie sérieuse que nous avons mené avec un cabinet spécialisé. Nous sortons cette étude lors de nos universités d’été de Deauville, du 3 au 5 juillet, avec en perspective les municipales de mars 2020 et la future loi de décentralisation qui se prépare. L’ADGCF veut donc apporter sa contribution au débat. Nous regrettons que la question de l’intercommunalité reste toujours très peu présente dans les campagnes municipales.

Comment avez-vous procédé ?

Nous avons démarré par un travail livresque très important en analysant tout ce qui a été écrit sur la décentralisation. Cette matière a alors été confrontée à 22 grands témoins, sans avoir forcément de lien direct avec les territoires comme Cédric Villani ou Didier Migaud, afin d’exprimer une lecture critique voire disruptive. Ils ont analysé comment les grandes mutations actuelles percutent le modèle classique de décentralisation. Troisième temps, tout ce travail a fait l’objet d’une restitution et d’échanges lors d’un tour de France en 13 étapes où l’on a rencontré plus de 500 DGS d’interco afin de confronter un état des lieux à leurs réalités très concrètes. Résultat : cela a permis d’identifier la plupart des ruptures entre les visions de la décentralisation et les résultats économiques et sociologiques actuels. Nous continuons de penser avec un logiciel datant des années 80 alors que le monde a profondément changé. De l’interpellation des DGS sur la nouvelle organisation à imaginer pour tenir comptes de ces grandes mutations a émergé beaucoup de propositions souvent très novatrices. Tous les sujets sont traités avec parfois des propositions dérangeantes. Je pense notamment au sentiment partagé du département qui a fait son temps et doit céder la place à une agence départementale fédérant les intercommunalités, qui serait plus adaptée et en adéquation avec les réalités territoriales.

Quelles sont les premières réactions à votre étude ?

Lors des premières présentations, notamment devant le conseil d’administration de l’AdCF, différents groupes parlementaires ou le CGET, nous avons reçu la plupart du temps un très bon accueil. Les universités d’été vont reprendre thème par thème les sujets traités dans l’étude qui sera remise au gouvernement en espérant que cela puisse servir au futur projet de loi.

Pouvez-vous nous citer quelques exemples de vos propositions ?

Notre étude plaide pour un aggiornamento de l’action publique locale qui doit passer par une nouvelle grammaire territoriale et un autre mode opératoire pour un nouveau geste de décentralisation. Quelques exemples de propositions : mener, sous l’impulsion de l’État et de ses services déconcentrés, des regroupements massifs de communes en zones urbaine et périurbaine ; déterritorialiser la fiscalité économique ; élire les conseillers communautaires et métropolitains au suffrage universel direct sur circonscription intercommunale ; mettre fin aux politiques contractuelles descendantes et à la logique des appels à projets...
Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry
(1) Pascal Fortoul, président de l’ADGCF (Association des directeurs généraux des communautés de France) est aussi DGS de la CA du Pays Voironnais (Isère)
Philippe Pottiée-Sperry
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