Vincent Aubelle, professeur des universités (1) : « La longue histoire de la tension entre l’État et les pouvoirs locaux »

Philippe Pottiée-Sperry
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Pourquoi avez-vous choisi de publier un ouvrage sur les grandes figures de la décentralisation (2) ?

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Avec Nicolas Kada avec lequel nous avons dirigé le dictionnaire encyclopédique de la décentralisation, nous avons voulu faire un ouvrage sur ceux qui ont permis de faire advenir les libertés locales au sein desquelles la décentralisation s’insère. Le combat n’est pas nouveau comme le montre notre choix de 69 personnalités importantes de l’Ancien Régime jusqu’à nos jours. Il n’y a qu’une femme, Olympe de Gouges, révélant leur présence encore très récente dans la vie politique. Ces grandes figures traduisent bien les débats qui ont animé la décentralisation et qui l’animent encore. Pour rendre l’ensemble lisible, nous proposons une frise historique pour positionner chacune de ces figures dans leur contexte. De plus, la préface a été rédigée par Gérard Larcher et la postface par Jean-Pierre Chevènement.

Comment se sont effectués vos choix ?

Notre approche est volontairement différente de celle habituellement retenue : il s’agit de s’écarter des structures et de repartir de la pensée de ceux qui ont réfléchi et travaillé autour de cette tension qui existe entre l’État et les pouvoirs locaux. Il ne s’agit pas d’une encyclopédie mais d’une sélection choisie et assumée. L’idée a aussi été de ne pas retenir que des juristes et des hommes politiques mais aussi des économistes, des géographes, des historiens et deux personnes morales, au sein desquelles l’AMF.Pour chaque figure, nous proposons une notice biographique avec la présentation de son apport à la décentralisation dans le contexte de son époque et la reproduction d’extraits de ses écrits ou discours marquants. L’ouvrage a été réalisé par une quarantaine d’auteurs aux profils très variés.

Pouvez-vous nous citer des personnages marquants ?

Il y en a tellement ! Je pense notamment à Olivier Guichard qui fut un grand décentralisateur tout en, ce qui est beaucoup plus rare, développant en parallèle une vision de l’Etat. Les deux doivent être complémentaires. L’Etat est nécessaire mais à condition que ses missions soient bien claires. Evidemment, il y a aussi Gaston Defferre, le grand artisan de la loi de 1982. Selon lui, deux choses étaient essentielles : proposer un texte de décentralisation qui n’embrasse pas toutes les compétences (la loi de 1982 est assez courte) et aller très vite pour contrer toutes les formes d’opposition. On peut y ajouter une troisième qui est l’importance d’avoir un grand ministre, ce qu’il fut, avec une vraie surface politique tant vis-à-vis du Parlement que du président de la République.

Votre ouvrage montre aussi que la décentralisation ne fait pas partie de la culture française.

En effet, la culture décentralisatrice n’est pas solidement établie dans notre pays. C’est particulièrement vrai pour l’Etat, qui appréhende encore trop souvent les collectivités comme une variable d’ajustement. Le prisme étatique, issu d’une culture centralisatrice qui s’étire sur près de deux siècles, conduit à s’interroger sur le fait de savoir si l’organisation décentralisée de la République n’est pas en définitive, dans sa pratique, une simple organisation décentralisée de l’Etat.

Fin janvier, vous avez également publié « La loi sur le divan » (2). Une drôle de rencontre entre le droit et la psychanalyse !

Il existe de vrais points de rencontre entre le droit et la psychanalyse. Nous souffrons d’une boulimie législative avec le syndrome de la loi qui doit tout prévoir. Derrière ces symptômes, la loi est l’expression de nos névroses, perversités et psychoses collectives. Il s’agit donc de comprendre les ressorts et les travers de cette inflation mais aussi et surtout de trouver les moyens d'en sortir. Concernant les collectivités locales par exemple, la loi doit se limiter à définir les grands principes et les compétences puis les laisser fonctionner librement. La reconnaissance du droit à la différenciation territoriale en serait une belle illustration.

En quoi la crise sociale que nous connaissons depuis le mois de novembre entretient un lien avec la décentralisation ? Quelles conséquences ?

C’est précisément à ce moment qu’il intéressant de croiser le droit et la psychanalyse. Cette colère révèle à l’autorité que l’autre existe ce dont ne saurait et ne peut rendre compter la gouvernance par les seuls chiffres. Il y a une parole qui se libère, contenue depuis si longtemps. Il y a une demande de politiques publiques, sur des biens essentiels – entre autres, la santé, les transports, le logement – pour lesquelles il va falloir sortir du schéma infantile de la décentralisation lorsqu’il se limite à la seule question du maintien des structures.
Propos recueillis par Philippe Pottiée-Sperry
(1) Professeur des universités associé au département génie urbain de l’école d’urbanisme de Paris (Université Paris-Est - Marne-la-Vallée)(2) Ouvrage co-dirigé avec Nicolas Kada, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes, et publié aux éditions Berger-Levrault.
Philippe Pottiée-Sperry
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