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Stéphane Menu

« On paie le prix d’une décentralisation confuse »

Luc Rouban, Directeur de recherche au CNRS et chercheur au Cevipof
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Interview Luc Rouban

Directeur de recherche au CNRS, travaillant au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) et enseignant à Sciences Po Paris, Luc Rouban a publié « Les raisons de la défiance »*, en début d’année, et une note du Cevipof sur le vote des fonctionnaires à la dernière présidentielle, début septembre. Entretien.

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Comment expliquer que moins de Français souhaitent aujourd’hui devenir fonctionnaires ?
Parce que les métiers des fonctions publiques apparaissent ingrats : contacts avec des usagers devenus consuméristes (« je paie des impôts, vous êtes à mon service » par exemple) et souvent fort désagréables voire violents, des carrières complexes demandant de la mobilité géographique, des salaires assez médiocres comparés à ceux du privé sauf en catégorie C.

Doit-on repenser la carrière du fonctionnaire ? 
Il faut sortir de la logique des corps au sein de la fonction publique de l’État afin de permettre de véritables échanges avec la territoriale et l’hospitalière, un projet d’ouverture des fonctions publiques qui était celui de la gauche en 1981 et qui a été torpillé ensuite dans le cadre du statut général de 1983 puis de la loi Galland de 1987.

L’attractivité et le recrutement dans la fonction publique sont de plus en plus difficiles, en particulier dans la FPT. Comment l'expliquez-vous ? 
Le recrutement dans la FPT est surtout difficile dans la filière technique, là où la concurrence des entreprises privées sur le marché de l’emploi est plus forte. La question de fond reste le problème de l’organisation des carrières qui implique pour progresser de changer d’employeur. Il faut ajouter à cela la hausse des prix de l’immobilier dans les grandes villes ou l’isolement et les déserts médicaux dans les petites communes. On paie le prix d’une décentralisation confuse et du trop grand nombre d’employeurs territoriaux.

Comment expliquez-vous qu’entre 2017 et 2022, la candidate du Rassemblement national ait gagné neuf points chez les agents publics ?
L’avancée du RN chez les agents publics mais aussi de l’ensemble de l’extrême-droite est impressionnante notamment chez les cadres de catégorie A qui ont choisi cette droite radicale à hauteur de 20% contre 12% en 2017. Ce phénomène est général et le vote des agents publics s’inscrit dans un processus de rapprochement électoral entre la droite et l’extrême-droite qui touche également les salariés du privé. Le vote reste toujours le résultat d’une addition de facteurs comme la socialisation politique familiale, la défense d’intérêts socio-économiques mais aussi de valeurs, le rejet de certains candidats. 

Existe-t-il des raisons particulières ? 
Le vote RN au sein des fonctions publiques est fortement lié à la persistance de problèmes qui n’ont pas été résolus : la surcharge des demandes notamment à l’hôpital public ou dans la police, le sentiment largement partagé notamment au sein de la catégorie C mais aussi chez certains enseignants de ne pas voir leur travail reconnu, une laïcité affirmée mais souvent en difficulté sur le terrain, des conditions de travail dégradées, un management qui ne manage rien mais qui crée de la bureaucratie supplémentaire et de la gestion par les chiffres. De plus, Marine Le Pen a changé son offre politique en abandonnant le libéralisme de l’ancien FN au profit d’un programme bien plus favorable aux agents publics.

*« Les raisons de la défiance », Paris, Presses de Sciences Po, 2022.

Stéphane Menu
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