Législatives : abstention record et fortes incertitudes pour le second tour

Philippe Pottiée-Sperry
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Législatives : abstention record et fortes incertitudes pour le second tour

C’est la première fois qu’un Président obtient un résultat électoral aussi faible lors du premier tour des législatives suivant le scrutin présidentiel. Obtenir la majorité absolue pour la coalition Ensemble à l’issue du second tour n’est pas du tout acquis. Autre fait marquant : un nouveau record d’abstention.
 

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52,49% d’abstention
Le premier tour des législatives du 12 juin enregistre un nouveau record d’abstention avec 52,49%, selon le ministère de l’intérieur. Ce résultat est une fois encore en hausse contre 51,29% en 2017 qui constituait déjà un record sous la Vème République. Rappelons que l’abstention n’atteignait que 31% lors des législatives de 1993 ! Ce mouvement traduit une nouvelle fois les symptômes d’institutions à bout de souffle, d’une fatigue démocratique du pays ou d’un désintérêt croissant des Français : les analyses ne manquent pas. 
C’est parmi les jeunes et les catégories populaires que l’abstention apparaît la plus forte. Selon un sondage Ipsos et Sopra Steria (1) pour France TV, Radio France, LCP-AN et Public Sénat, 70% des moins de 35 ans et 56% des 35-59 ans n’ont pas été voté le 12 juin. En revanche, le chiffre tombe à 35% chez les plus de 60 ans.

Déterminant important de l’âge
Toujours selon la même enquête, les employés (65%) et les ouvriers (62%) sont en tête des abstentionnistes. Les cadres (53%) et les professions intermédiaires (57%) apparaissent un peu moins touchés par le phénomène. L’institut de sondage confirme le fait que le niveau de revenu influe sur la participation avec un taux d’abstention qui varie de 61% chez les plus modestes à 47% chez les plus aisés.
Par ailleurs, Ipsos et Sopra Steria montre l’importance du déterminant de l’âge dans le vote. Ensemble arrive en tête chez les plus de 70 ans (38% contre 13% chez les 18-24 ans) tandis que la Nupes fait un tabac chez le moins de 34 ans (42% chez les 18-24 ans et 38% chez les 25-34 ans mais seulement 15% chez les plus de 70 ans). Le RN fait lui son meilleur score chez les 50-59 ans (30%).

Une réforme institutionnelle urgente
Interrogée par Libération, dans son édition du 13 juin, la politologue Céline Braconnier, coautrice d’une « Démocratie de l’abstention », confirme ce désintérêt électoral croissant qui touche avant tout les jeunes et les classes populaires. Selon la professeure des universités en sciences politiques, « la lutte contre cette défiance doit se jouer à tous les niveaux, mais aucune mesure technique ne parviendra à elle seule à réenchanter la politique. Certes, des réformes de procédures électorales (pour l’inscription sur les listes, la procuration ou le vote à distance) sont nécessaires mais elles ne vont pas produire à elles seules de la participation, simplement la faciliter, notamment pour ceux susceptibles de se mobiliser à la dernière minute ». Pas de solution miracle donc. 
Et Céline Braconnier d’ajouter : « des enquêtes sociologiques récentes démentent l’idée d’une forte demande de participation de la part des citoyens. Les initiatives délibératives touchent surtout des personnes déjà engagées et peu nombreuses. Les études montrent en revanche un appel à une représentation plus respectueuse et fidèle à leurs préoccupations. Diversifier les modes d’expression ne doit pas être en mis en balance avec la démocratie représentative, les deux sont complémentaires ».
Quoi qu’il en soit, pour sortir de cette spirale inquiétante voire dangereuse de l’abstention, une réforme institutionnelle devra faire partie des chantiers prioritaires de ce quinquennat. 

L’outre-mer continue de bouder les urnes
Dans le détail, comme à la présidentielle, les territoires d'outre-mer sont en queue de peloton de la participation avec une abstention qui franchit le cap des 70% en Martinique, en Guadeloupe ou en Guyane. De même, l’Ile-de-France continue de constituer un mauvais élève : la Seine-Saint-Denis (61% d’abstention) ou le Val-d'Oise (57%). Dans le premier, département le plus pauvre de métropole, l'abstention dépasse les 70% dans certaines communes comme Clichy-sous-Bois. En région Paca, elle s’élève à 60% à Marseille et, dans le nord-est, elle atteint 59% en Moselle et 56% dans le Haut-Rhin.
A l’inverse, les départements ruraux continuent de participer davantage. Par exemple, le Lot connaît une abstention dépassant tout juste les 40%. Dans la Lozère, elle atteint 41,63%. 

Des résultats au coude à coude
Par nuances politiques, les trois forces arrivées en tête le 12 juin sont : Ensemble (majorité présidentielle : LREM, Modem et Horizons) à 25,75%, Nouvelle union populaire, écologique et sociale (Nupes : LFI, EELV, PS et PCF) à 25,66% et le Rassemblement national (RN) à 18,68%. Tous les résultats détaillés sont détaillés sur le site du ministère de l’Intérieur. Derrière LR et l’UDI obtiennent 11,3% (13,7% en y ajoutant les divers droite). Tous les deux perdent sept points par rapport aux législatives de 2017.  
A l’issue du premier tour du 12 juin, cinq députés sont élus (ils étaient quatre en 2017 et 36 en 2012). Quatre sont de la Nupes et un d’Ensemble. Il reste donc 572 circonscriptions en ballotage. Dans près de la moitié d’entre elles (278), le duel s’effectuera entre candidats d’Ensemble et de la Nupes. Compte tenu de la forte abstention, il devrait n’y avoir que huit triangulaires au second tour. 

Un second tour incertain
Autre enseignement important du scrutin : la réussite de la Nupes, coalition qui pourrait obtenir entre 150 et 210 députés selon les estimations de différents instituts de sondage. Un bon résultat mais encore loin d’être suffisant pour espérer obtenir la majorité absolue le 19 juin. Pour sa part, Ensemble arrive tout juste en tête avec 20 000 voix d’avance et n’est pas assurée d’obtenir la majorité absolue à l’issue du second tour (fourchette comprise entre 255 à 310 députés) malgré sa qualification dans 417 circonscriptions. Pour rappel, LREM avait obtenu à elle seule la majorité absolue en 2017. 
De son côté, le RN avec près de 19% améliore son score de sept points par rapport à 2017 et devrait pouvoir obtenir un groupe parlementaire (minimum requis de 15 députés). L’estimation Ispos/Sopra Steria oscille entre 15 et 40 députés. Le RN est qualifié au second tour dans 208 circonscriptions. Pour leur part, LR et l’UDI perdent ensemble sept points par rapport aux législatives de 2017. Selon le même sondage, ils obtiendraient entre 40 à 80 députés le 19 juin, contre plus d’une centaine aujourd’hui.

Un quinquennat compliqué
Parmi les leçons fortes du premier tour des élections législatives : un quinquennat qui s’annonce pour le moins compliqué pour Emmanuel Macron avec des difficultés pour faire passer les projets de loi du gouvernement, la nécessité de s’entendre avec ses alliés voire de composer avec d’autres groupes de l’Assemblée nationale. Le contexte sera d’autant plus difficile que la procédure de l’article 49-3 n’est plus utilisable à présent qu’une seule fois durant la législature, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.  

Des ministres en danger
Sur les 27 ministres du gouvernement, 15 sont en lice pour ces législatives. Si une bonne part d’entre eux sortent en tête à l’issue du premier tour, certains sont en situation très délicate comme à Paris Stanislas Guerini (fonction publique) (32,5 %) et Clément Beaune (affaires européennes) (35,81 %) qui n’arrivent qu’en seconde position dans leurs circonscriptions. Idem pour Amélie de Montchalin (transition écologique et cohésion des territoires) dans l’Essonne qui arrive sept points derrière le candidat PS de la Nupes Jérôme Guedj (31,5% contre 38,3%). 
La règle (non écrite) de la démission obligatoire du gouvernement des ministres battus aux législatives pourrait donc imposer un remaniement gouvernemental. D’autres ministres apparaissent plus en forme comme Gabriel Attal (Comptes publics) qui avec 48% des suffrages obtient le meilleur score d’Ensemble dans les Hauts-de-Seine. 

Emmanuelle Wargon et Jean-Michel Blanquer sèchement battus
La Première ministre, Elisabeth Borne, est pour sa part plutôt en bonne position dans le Calvados en arrivant en tête avec 34,32% des voix, devant les candidats Nupes (24,53%) et RN (21,71%). Le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau est quant à lui largement en tête dans le Loir-et-Cher (31,97%) et la secrétaire d’État chargée de la Mer, Justine Benin, est en ballottage favorable en Guadeloupe. Situations également confortables pour Gérard Darmanin dans le Nord (Intérieur) (39,08% contre 23,08% pour la Nupes), Olivier Dussopt en Ardèche (Travail), Olivier Véran dans l’Isère (Relations avec le Parlement), Franck Riester en Seine-et-Marne (Commerce extérieur) ou encore Damien Abad dans l’Ain (Solidarités). 
Parmi les anciens ministres qui étaient candidats, certains ont été sèchement battus dès le premier tour comme Emmanuelle Wargon dans le Val-de-Marne (3ème position avec 18,93%) et Jean-Michel Blanquer dans le Loiret (3ème position avec 18,89%). Pour sa part, Barbara Pompili, ancienne ministre de la Transition écologique, apparaît en ballotage difficile dans la Somme (29,84% contre 29,98% pour la Nupes).

(1) Sondage mené par Ipsos et son partenaire Sopra Steria du 8 au 11 juin 2022 auprès d’un échantillon représentatif de 4000 personnes inscrites sur les listes électorales et âgées de 18 ans et plus.
 

Philippe Pottiée-Sperry
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