Comment réarrimer les jeunes à la vie démocratique ?
La dernière présidentielle n’a pas échappé au phénomène d’une participation en baisse continue à chaque scrutin, touchant en premier lieu les jeunes. Pas moins de 41% des 18-24 ans et 38% des 25-34 ans n’auraient pas votés au second tour. Pour tenter de les ramener dans les bureaux de vote, le CESE a formulé 21 propositions en faveur d’un changement « systémique ».
Lors du second tour de la présidentielle, le 24 avril, l’abstention a atteint 28,01% (25,44% en 2017), battant un nouveau record depuis le scrutin de 1969 (31,1%). Pour sa part, le vote blanc atteint 4,57% des inscrits, soit près de 2,23 millions d’électeurs (543 609 au premier tour). Ces chiffres traduisent un contexte profond de défiance, voire de colère, et de fatigue démocratique que traverse le pays. Une fois encore, les jeunes sont les premiers concernés par ce décrochage démocratique. Selon un sondage Ipsos Sopra Steria (1), publié le 25 avril, pas moins de 41% des 18-24 ans, 38% des 25-34 ans et 35% des 35-49 ans se seraient ainsi abstenus lors du second tour.
Rappelons également que les prochaines élections législatives des 12 et 19 juin risquent à nouveau de connaître une abstention record (57% en 2017 soit le plus haut niveau depuis 1958) avec une fois encore les plus gros bataillons parmi les jeunes.
50% des mal-inscrits ont moins de 30 ans
Face à ce phénomène de plus en plus inquiétant, plusieurs instances ont réfléchi aux moyens d’y faire face ces derniers mois. Un avis de CESE (Conseil économique, social et environnemental, intitulé « Engagement et participation démocratique des jeunes », a été publié en mars dernier à l’issue d’un travail ayant associé ses membres ainsi que douze citoyens tirés au sort. Le CESE avait été saisi par le Premier ministre suite au taux d'abstention record lors des élections régionales et départementales de juin 2021, atteignant 87% chez les 18-24 ans. Autre constat : 50% des mal-inscrits sur les listes électorales (personnes inscrites dans un lieu qui n’est pas leur lieu de résidence) ont moins de 30 ans.
Pour les faire davantage participer aux élections et à la vie démocratique, le CESE formule 21 préconisations en faveur d’un changement « systémique ». Certaines d’entre elles, comme de rapports parlementaires, pourraient être au menu des discussions sur la réforme des institutions dans le cadre d’une commission transpartisane qui doit être installée à la rentrée.
Une offre politique inadaptée
Le CESE se veut malgré tout rassurant en affirmant que « les jeunes générations ne sont ni moins engagées ni moins intéressées par la politique que leurs aînées » mais avec un « engagement [qui] se manifeste moins par les urnes, mais de plus en plus par d’autres voies : pétitions en ligne, manifestations, boycott, diffusion de contenu en ligne… ». Ne reflétant pas leur dépolitisation, l’abstention s’expliquerait donc avant tout par une offre politique qui ne répond plus à leurs attentes. En effet, les jeunes s'intéressent et s’engagent sur des sujets comme le climat, les problèmes de discriminations ou le mouvement « Metoo ». Ce constat n’empêche pas le CESE de sonner l’alarme car « si rien n’est fait, la faible participation des jeunes actuels risque de perdurer au-delà de leur jeunesse, ce qui réinterroge notre système ».
Droit de vote dès 16 ans avec une formation
Le premier axe des préconisations du CESE vise à renforcer l’apprentissage de la démocratie dès le plus jeune âge, tout d’abord en ouvrant le droit de vote dès 16 ans mais à condition de l’accompagner d’une formation au vote. Autres propositions : transformer la journée défense citoyenneté en semaine de la citoyenneté, avoir des visites obligatoires d’institutions républicaines dans les parcours de formation.
Le CESE plaide aussi pour faciliter l’inscription sur les listes électorales et encourager le déplacement aux urnes. Cela passerait en premier lieu par la reconnaissance du vote blanc dans les suffrages exprimés et sa présence matérielle obligatoire dans les bureaux de vote. Pour lutter contre la mal-inscription et la non-inscription, il faudrait s’appuyer sur « France Connect » pour déclarer plus facilement un changement de domicile. Par ailleurs, il est demandé d’instaurer une dose de proportionnelle aux législatives, avec un scrutin qui resterait principalement majoritaire.
Permettre des référendums d’initiative partagée
Autre axe développé : revitaliser la pratique de la démocratie et renouveler les instances politiques. Il est proposé de créer une journée, au Parlement, dédiée à l’examen des pétitions déposées au CESE, ou d’abaisser le seuil de signataires pour déclencher des référendums d’initiative partagée (1/10ème des membres du Parlement et 1/50ème du corps électoral). Par ailleurs, le statut de l’élu se verrait fortement renforcé (garanties, droits et obligations notamment pour mieux représenter la société). S’y ajouterait une limitation du nombre de mandats à trois consécutifs au sein d’un exécutif local ou en tant que parlementaire, sauf pour les mandats exercés dans les communes de moins de 3500 habitants.
Enfin, le CESE insiste pour mettre les jeunes au centre des politiques publiques qui les concernent, notamment en généralisant les dispositifs du type « dialogue structuré » pour leur permettre de s’investir dans la conception, la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques. Il propose, en outre, de faire bénéficier aux jeunes dès 18 ans des mêmes droits et aides que leurs aînés, tels que les minima sociaux.
Tester le vote par internet aux européennes
Parallèlement à son rapport, le CESE a souhaité expérimenter une nouvelle forme d’avis pour inclure des réflexions allant au-delà des thématiques abordées dans les préconisations afin de recréer du lien entre les jeunes et le système démocratique. Et de formuler des propositions, qui ne sont pas des « gadgets », insiste-t-il, mais complémentaires au dispositif préconisé. Il s’agit ici avant tout du vote par correspondance et du vote par internet, qui sont beaucoup revenus dans les consultations réalisées. Constatant un intérêt fort des 25-39 ans pour le vote électronique, il suggère une phase de test lors des élections européennes, sachant que d’autres États l’utilisent déjà pour ce scrutin comme l’Estonie. S’agissant du vote par correspondance, il prône des phases transitoires afin d’évaluer son impact et notamment la participation des publics habituellement les plus abstentionnistes.
Lancer plusieurs expérimentations
D’autres instances se sont également penchées ces derniers mois sur la lutte contre l’abstention. On peut notamment citer un rapport de l’Assemblée nationale, publié en décembre dernier, analysant les différentes causes du phénomène et formulant plusieurs propositions pour tenter de renforcer la participation électorale. Les députés Xavier Breton et Stéphane Travert préconisent de lancer plusieurs expérimentations : le vote par correspondance et par internet lors de prochaines élections locales dans les communes volontaires ; le vote par anticipation (de manière territorialisée) ; le vote dans la commune de son choix pour certains scrutins (présidentielle, européennes, référendums) en se fondant sur le répertoire électoral unique. Ils défendent également le développement de référendums d’initiative locale (dans les communes volontaires), de consultations citoyennes et d’ateliers citoyens ou encore la création d’une plateforme de la vie démocratique permettant aux citoyens d’interpeller les élus, à tous les niveaux. En direction des plus jeunes, ils plaident pour renforcer l’éducation à la citoyenneté dans le parcours scolaire en augmentant le nombre d’heures y étant consacrées puis en évaluant les connaissances acquises.
(1) Enquête menée par Ipsos & Sopra Steria pour France Télévisions, Radio France, France24/RFI/MCD, Public Sénat/LCP et Le Parisien auprès de 4000 personnes inscrites sur les listes électorales constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, interrogées du 21 au 23 avril 2022.