La Cour des comptes juge très positif l’état des finances locales

Philippe Pottiée-Sperry
Image
La Cour des comptes juge très positif l’état des finances locales

Les finances des collectivités locales se portent bien en 2021, selon la Cour des comptes. Evoquant même une situation « très favorable », elle juge « légitime » une contribution de leur part au redressement des finances publiques. Une idée qui passe mal auprès des associations d’élus.

Partager sur

Après une année 2020 marquée par la crise sanitaire, entrainant une chute de 8% du PIB, les collectivités locales ont vu, « à des degrés divers », leur situation financière s’améliorer en 2021. La reprise de l’activité économique (+ 7% du PIB) et les mesures de soutien de l’Etat aux collectivités en 2020 et 2021 (2,6 Md€) leur ont permis d’atteindre un niveau d’épargne brute supérieur à celui d’avant crise (41,4 Md€). Tel est le constat général de la Cour des comptes, dans le premier volet de son rapport annuel sur les finances publiques locales, publié le 12 juillet, qui évoque même « une situation financière d’ensemble qui n’a jamais été aussi favorable ». 

Une bonne santé financière
Alors que les collectivités avaient été relativement épargnées en 2020 au regard de la dégradation des comptes de l’État et de la Sécurité sociale, le fort rebond de l’activité économique en 2021 a contribué à l’amélioration de leurs finances, estiment les magistrats financiers. Le déficit des administrations publiques locales (APUL), qui s’élevait à 3,5 Md€ en 2020, se limite à 0,6 Md€ en 2021. 
Autre constat : une hausse de plus de 5%, en 2021, des produits réels de fonctionnement des collectivités, qui atteignent ainsi un niveau supérieur de 3% à celui d’avant crise. Explication ? Pour l’essentiel, le dynamisme des recettes fiscales lié à la reprise économique (+4,2% entre 2019 et 2021). De plus, la hausse des produits de fonctionnement, supérieure à celle des charges, se traduit par une progression de l’épargne de 6,4 Md€, pour atteindre « un niveau inédit », souligne la Cour des comptes. Dans le détail, elle estime que les communes ont accru leur marge de manœuvre financière, que la situation des départements s’est largement améliorée grâce à des recettes fiscales d’un niveau exceptionnel et que les régions ont maintenu un fort niveau d’investissement.

L’AMF déplore « un parti pris »
Si la Cour juge la situation des finances locales « très favorable », elle reconnaît une forte hétérogénéité des situations individuelles des collectivités, qui la conduit à recommander « une plus grande solidarité et une meilleure répartition des ressources entre elles ».
En annexes du rapport figurent les réponses des présidents des différentes associations d’élus qui sont loin de partager tous les constats de la Cour. La plus sévère est probablement celle de l’AMF qui « réfute une partie du vocabulaire utilisé dans le rapport, qui témoigne d’un parti pris et donc d’a priori ». Elle déplore également « la confusion entre excédents et santé financière des collectivités locales : l’importance des excédents n’est pas forcément révélatrice d’une « situation très favorable » mais plutôt d’une situation financière équilibrée ». Et d’estimer qu’une « situation financière très favorable ne peut se résumer à la constatation d’excédents inédits, mais doit aussi révéler une progression de l’offre de services à la population et de l’investissement ». Une véritable leçon !

Le bloc communal en forme
Après une année de dégradation « relative » de ses équilibres financiers, le bloc communal a reconstitué en 2021 un niveau d’épargne brute supérieur à son niveau d’avant crise, grâce à un rebond de plus de 10%. A cela s’ajoute une hausse de 4,3% de leurs produits de fonctionnement, en dépit des effets persistants de la crise sanitaire. La situation est différente pour les villes de plus de 100 000 habitants, davantage fragilisés en 2020, qui n’ont pas encore retrouvé leur niveau d’épargne brute de 2019.
Cette deuxième année de cycle de mandat est « atypique », constatent les magistrats financiers, dans la mesure où les dépenses d’investissement (38,5 Md€) augmentent de 4,9%, sous l’effet du décalage des opérations retardées en 2020, mais également en raison des financements du plan de relance. Ces cofinancements sont intervenus alors que le bloc communal disposait déjà d’une forte capacité d’autofinancement. 

Un endettement maîtrisé
Autre constat : l’endettement du bloc communal est resté maîtrisé et sa capacité de désendettement s’est redressée suite à la crise. Les dépôts au Trésor des communes et EPCI ont atteint un « niveau inédit » (43,6 Md€), après une nouvelle augmentation de plus de 12% en 2021. « Cette thésaurisation, parfois présentée comme une épargne de précaution, représente désormais plus du tiers de l’encours des dettes du bloc communal ou l’équivalent d’une année de dépenses d’investissement », analyse la Cour.
Néanmoins, elle pointe la progression des dépenses de fonctionnement, en particulier celles du personnel des intercommunalités, et évoque « un point de vigilance ». L’impact de la hausse des prix, notamment de carburant depuis la fin de l’année, n’est pas encore perceptible dans les comptes locaux, un argument qu’évoque beaucoup les élus locaux face pour relativiser le constat d’une « situation très favorable ». 

Des recettes exceptionnelles pour les départements
La situation des départements s’améliore nettement en 2021 grâce à un niveau record des droits de mutation à titre onéreux (DMTO : + 27%, soit 3 Md€) et à une évolution modérée de leurs dépenses sociales (+ 1,5%). Dans le contexte de reprise de l’activité économique, les dépenses relatives au RSA sont même en légère diminution (- 0,1%), alors qu’on a pu craindre l’inverse à un moment, mais sans toutefois retrouver leur niveau d’avant crise (+ 6,5% par rapport à 2019). 
La Cour considère que la mise en œuvre de la réforme de la fiscalité locale, avec le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties remplacé par une fraction de TVA, tend à « renforcer la part des recettes des départements ». Grâce à une évolution plus importante des recettes (+ 6,5%) que des dépenses (+ 1,4%), l’épargne globale des départements connaît ainsi une forte progression permettant d’accroître leur effort en matière d’investissement (+ 10%). Malgré un niveau élevé d’autofinancement, ils ont davantage emprunté qu’en 2019. Toutefois, leur encours de dette diminue par rapport à 2020 (- 1,6%), améliorant ainsi leur capacité de désendettement (2,8 années d’épargne brute).
La Cour reconnaît cependant que l’embellie de 2021 ne pourrait être que ponctuelle, compte tenu de « l’exposition des budgets départementaux à la conjoncture économique et de l’inadéquation de leurs recettes à leurs dépenses ».

Régions : maintien d’un fort niveau d’investissement
Dans l’ensemble, les régions ont vu leur situation financière s’améliorer en 2021. L’accord de partenariat État-régions du 28 septembre 2020 leur a permis de ne pas subir en 2021 les conséquences de la baisse de la CVAE (cotisation de la valeur ajoutée des entreprises) sur leurs recettes de fonctionnement, observent les magistrats financiers. L’effet positif du dynamisme du produit de TVA est perceptible dès cette année (+ 566 M€), tandis que les recettes fiscales liées à l’automobile (une partie de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et la taxe sur les certificats d’immatriculation) marquent le pas.
Leurs charges de fonctionnement connaissent une croissance élevée (+ 3,5 %), notamment en raison des mesures prises dans le cadre de la crise sanitaire. Les hausses les plus fortes concernent leurs principaux domaines de compétence : enseignement et formation professionnelle (+ 333 M€) et transports (+ 619 M€). De même, compte tenu de leur soutien continu aux acteurs économiques renforcé durant la crise sanitaire, leurs dépenses réelles d’investissement ont crû de 540 M€ (+ 4,2%). 

Epargne brute reconstituée
Du fait de l’augmentation de leurs recettes réelles de fonctionnement, l’épargne brute des régions s’est reconstituée (+ 694 M€, soit + 13,7 %) générant en 2021 un recours à l’emprunt moindre que l’année précédente (- 18,3 %). Après une forte dégradation en 2020 (passage de 4,3 ans à 6 ans), leur capacité moyenne de désendettement est repassée en dessous des six ans. Le ratio de désendettement de l’ensemble des régions est compris entre 2,2 et 10,3 ans, et les situations atypiques constatées en 2020 dans ce domaine ont été corrigées.

« Une contribution au redressement des finances publiques » 
Dans ses conclusions, la Cour des comptes estime que la bonne santé financière des collectivités et dans le même temps la persistance de disparités justifient « un renforcement de la solidarité, notamment à travers de la péréquation, et la recherche d’une meilleure répartition des ressources ». 
Par ailleurs, le principe d’une contribution du secteur public local au redressement des finances publiques lui semble « légitime au regard de sa situation financière ». Et de comparer l’excédent de près 5 Md€ en 2021 des comptes des collectivités aux déficits de l’État (- 143,8 Md€) et des organismes de sécurité sociale (- 16,9 Md€). Selon les magistrats financiers, la prochaine loi de programmation des finances publiques (2023-2027), prévue cet automne, devra définir les modalités de cette contribution.

Encadrement des dépenses de fonctionnement
Pour mettre en place la contribution du secteur public local, la Cour formule plusieurs options : l’encadrement du rythme d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement ; le recours à un critère fondé sur l’autofinancement ; la fixation d’un ratio d’endettement ; la définition d’un objectif d’évolution du besoin annuel de financement ; la réduction programmée dans le temps de certaines recettes. 
S’agissant de la reconduction d’un objectif d’encadrement des dépenses de fonctionnement, elle reconnaît qu’elle nécessiterait au préalable de lever les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des contrats de Cahors. Mais ceux-ci ne semblent plus être à l’ordre du jour vu les déclarations récentes de Christophe Béchu et Caroline Cayeux, tout en sachant que Bercy n’a pas dit son dernier mot. S’agissant du critère fondé sur l’autofinancement, devant être associé à une trajectoire pluriannuelle de recettes, cela « pourrait contribuer indirectement à la maîtrise des dépenses tout en facilitant la prise en compte de la diversité des modes de gestion locaux ». La Cour souligne que « sa prise en compte implique de déterminer son incidence nette sur les finances locales, sans se limiter aux seuls surcoûts ». 

Des réactions mitigées des associations d’élus
Dans sa réponse au rapport de la Cour des comptes, Régions de France estime que, dans un contexte de baisse de leurs recettes liées à la crise sanitaire, « toute nouvelle contractualisation financière aurait pour conséquence de réduire leurs marges de manœuvre alors même que les régions ne cessent d’être mobilisées dans le cadre du plan de relance ou d’autres programmes de l’État ». Carole Delga, sa présidente, dit ainsi s’« opposer à toute nouvelle génération de contrats de Cahors ».
Pour sa part, Intercommunalités de France réfute l’idée de participer au redressement des finances publiques au motif des lourds efforts déjà portés avec la baisse des dotations entre 2014 et 2017 comme des effets actuels de la crise internationale (remontée de l'inflation et des taux d'intérêt, hausse des coûts de l'énergie et des matières premières...). « Toute sollicitation des collectivités pour les associer à une trajectoire de progression de la dépense locale devra impérativement se faire en concertation avec elles sur les objectifs, les contre parties attendues, les modalités de mise en œuvre, le tout dans un climat de confiance avec l’État », insiste Intercommunalités de France.

France urbaine prône défend l’élargissement du panier fiscal
France urbaine quant à elle n’adhère pas à la préconisation d’instaurer des mécanismes d’auto-assurance. « Ce type de réponse est, peut-être, pertinente pour les départements (au sein desquels les DMTO, impôt cyclique, sont prédominants), mais ne saurait l’être pour le bloc communal, qui plus est dans un contexte caractérisé par une accélération de l’inflation », estime l’association des grandes villes, communautés et métropoles. Elle défend l’élargissement de leur panier fiscal, c’est-à-dire « la reconquête d’une autonomie fiscale mise à mal ces dernières années ».
Par ailleurs, France urbaine reste très prudente sur l’idée d’une nouvelle génération de contractualisation financière et ne l’accepterait que « dans un scénario où l’engagement des parties est réciproque, qui s’inscrit en cohérence avec les objectifs globaux de la future loi de programmation (quel équilibre entre le besoin d’investissements d’avenir et la nécessité du désendettement ?) ».

Prudence des départements
Tout en partageant le constat de la Cour des comptes sur la forte hausse constatée des DMTO, Départements de France appelle à la prudence sur les perspectives pour 2022. « Il est à craindre que la remontée des taux d'une part, et l'impossibilité temporaire de délivrer des crédits aux particuliers du fait de la non-actualisation du taux d'usure d'autre part, viennent contrarier l'évolution du marché immobilier et par conséquent la perception des DMTO », estime l’association des départements. 
Elle aborde par ailleurs les prochaines années « avec prudence » et défend l’adoption de « trois propositions prioritaires » : l’inscription dans la Constitution d’une disposition interdisant au gouvernement de présenter une mesure aggravant les dépenses locales, sans augmenter d'autant leurs ressources, ou de réduire de façon équivalente leurs charges ; la révision périodique des compensations financières associées aux transferts successifs de compétences ; la redéfinition d’une fiscalité locale qui garantisse une véritable autonomie fiscale des collectivités constituées de ressources propres constitutionnellement redéfinies et associées à un pouvoir de taux.

L’AMF « en total désaccord avec le postulat de légitimité »
La réponse la plus longue et la plus virulente émane de l’AMF s’affirmant « en total désaccord avec ce postulat de légitimité et avec l’argument selon lequel l’effort demandé aux collectivités pourrait être totalement décorrélé de leur poids dans le déficit et la dette publics, au motif que leurs équilibres financiers sont structurellement sains ». 
Selon son président, David Lisnard, « ce ne sont pas les excédents qui permettent une limitation de la dette, mais les efforts réalisés et les règles de gestion qui s’imposent aux collectivités ». En rappelant qu’elles sont soumises à des règles d'encadrement strictes : « leurs budgets de fonctionnement sont obligatoirement à l'équilibre et la règle d’or impose le financement de la charge totale de la dette par les ressources propres ».

Philippe Pottiée-Sperry
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire