Législatives : le risque d’un pays ingouvernable

Philippe Pottiée-Sperry
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Législatives : le risque d’un pays ingouvernable

Une abstention à près de 54%, une situation inédite sous la V° République avec la première force politique très loin de la majorité absolue à l’Assemblée, une percée historique du RN… Les leçons des législatives 2022 ne manquent pas avec un risque de paralysie et donc de pays ingouvernable.

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L’abstention, premier parti de France
53,77 %. Le taux d’abstention demeure extrêmement élevé. Faible consolation : il reste inférieur à celui de 2017 (57,36%). L’abstention n’en demeure pas moins le premier parti politique de France. Comme au premier tour, l’outre-mer bat à nouveau des records avec notamment un pic de 75,44% d’abstention à Saint-Barthélemy. En métropole, la Seine-Saint-Denis arrive une fois encore en tête (63,39%). A l’inverse, les départements ruraux demeurent les plus participatifs avec en bon élève la Lozère (40,78%).
Autre chiffre : la nouvelle chambre compte 215 femmes (contre 362 hommes) soit 37,26 % du total, en léger recul par rapport à 2017 (39%).

Persistance de trois blocs
Une situation inextricable ! Avec 245 députés, la coalition Ensemble (LREM, Modem, Horizons et Agir) sort éreintée du second tour des législatives du 19 juin et bien loin de la majorité absolue de 289 sièges. « La situation est inédite, a reconnu tardivement dimanche soir la Première ministre, Elisabeth Borne Jamais l’Assemblée nationale n’a connu une telle configuration sous la V République ». 
Comme à la présidentielle, le scrutin législatif confirme la présence de trois blocs, sans majorité pour chacun d’entre eux. La nécessité d’une bonne quarantaine de députés rend peu probable la perspective d’alliances, laissant plutôt la place à une gestion au cas par cas pour chaque projet de loi. Un casse-tête parlementaire ! 
Avec seulement « 15 » sièges de retard sur la majorité absolue, entre 1988 et 1991, le gouvernement Rocard avait négocié tour à tour avec les communistes et les centristes. Le contexte apparaît aujourd’hui beaucoup plus difficile compte tenu de l’importance du différentiel de sièges. Et, surtout, depuis la réforme constitutionnelle de 2008, le recours au célèbre article 49.3 n’est plus possible qu’une seule fois par session (utilisé 28 fois par le gouvernement Rocard !). 

Remaniement gouvernemental
Conséquence de cette claque électorale : le risque d’une paralysie de l’Assemblée nationale et donc d’un pays devenant ingouvernable. Tous les scénarios sont sur la table avec le risque d’un blocage total créant alors une crise institutionnelle qui pourrait déboucher sur une dissolution du Palais Bourbon pour un retour des Français devant les urnes. La V° République, si stable avec son scrutin majoritaire, ressemble ces temps-ci aux mouvementées III° et IV° Républiques. 
Premier impact : le remaniement gouvernemental devrait être rapide et d’ampleur. La Première ministre, loin d’être assurée de garder Matignon malgré sa victoire dans le Calvados, s’est contentée dimanche soir de commenter les résultats en affirmant sa volonté de bâtir « une majorité d’action » pour mener « les réformes nécessaires ». C’est-à-dire ? « Les sensibilités multiples devront être associées et les bons compromis bâtis au service de la France », a-t-elle ajouté sans vraiment convaincre. 
Pour le moins optimiste, Olivier Véran, le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, appelle à « construire très vite une majorité pour qu’elle devienne absolue à l’Assemblée ». Adepte apparemment de la méthode Coué, il aura en tout cas du pain sur la planche. 

Début de la nouvelle législature le 28 juin
Selon les résultats du ministère de l’Intérieur, Ensemble totalise 245 députés, la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) 131, les DVG (divers gauche) 22, le RN (Rassemblement national) 89, Les Républicains 61, les DVD (divers droite) 10, l’UDI (Union des démocrates et des indépendants) 3… Il faudra attendre encore quelques jours pour connaître les chiffres définitifs des groupes parlementaires sachant qu’ils seront rejoints par certains divers, notamment ultra-marins pour la Nupes.
Parmi les 245 députés Ensemble (LREM, MoDem, Horizons et Agir), seuls 63% sont issus de LREM. Le Modem en totalise 48 et Horizons 27. 
La nouvelle législature débutera le 28 juin. Quid du discours de politique générale de la Première ministre prévue le 5 juillet ? Heureusement que l’engagement de sa responsabilité n’est pas obligatoire ! La session extraordinaire devrait démarrer quelques jours plus tard, le 11 juillet. 

Percée historique du RN
La percée historique du RN avec 89 députés (onze fois plus qu’en 2017 !) constitue un score inattendu et spectaculaire que ce parti lui-même n’espérait pas il y a encore quelques jours. Au-delà de ses bastions du nord de la France et du pourtour méditerranéen, il gagne du terrain dans de nouveaux départements comme la Haute-Marne (gain des deux circonscriptions). A noter aussi une très forte poussée dans le Var en remportant sept des huit circonscriptions (contre aucune en 2017). 
Toujours en région PACA, le RN s’implante dans les Bouches-du-Rhône en gagnant six sièges. Par ailleurs, il gagne de nouvelles terres comme les deux circonscriptions de la Haute-Saône ou quatre des cinq sièges de l’Eure. Même dans le Sud-ouest, qui résistait jusqu’à présent aux sirènes RN, deux sièges sont emportés dans la Gironde. En Occitanie, le parti de Marine Le Pen s'adjuge les quatre sièges des Pyrénées-Orientales, les trois de l'Aude, quatre des six circonscriptions du Gard ou encore trois dans l’Hérault (en incluant Emmanuelle Ménard). Pour expliquer cette poussée du RN dans de nouvelles terres, le politologue Jean-Yves Camus a évoqué « la diagonale des oubliés » au micro de France Info. 

Le DGS de Fréjus devient député RN
Le RN demande déjà la présidence de la commission des finances de l’Assemblée et une vice-présidence du Palais Bourbon. 
A signaler l’élection comme député RN du Var de Philippe Lottiaux, DGS de Fréjus, ville dont le maire est David Rachline (RN). Durant son parcours, cet énarque a notamment travaillé à la Ville de Paris comme chef de service Jeunesse puis directeur de cabinet du secrétaire général de la ville. Cap ensuite sur Levallois-Perret (92) dont il sera le DGS de 2001 à 2011.

Nupes, première force d’opposition
A défaut d’avoir gagné le scrutin, et de loin, la Nupes devient la première force politique d’opposition à l'Assemblée nationale, avec 131 députés. 72 sont issus de LFI, 26 du PS, 23 d’EELV et 12 du PCF. A noter que ces chiffres vont bouger car certains des 22 élus DVG ont prévu de les rejoindre. Mais si comme prévu, chacune des composantes de la Nupes constitue bien son propre groupe, le premier groupe d’opposition deviendra alors par conséquence le RN. Le 20 juin, Jean-Luc Mélenchon a proposé la création d’un groupe unique à l’Assemblée que le PS, EELV et le PCF ont immédiatement refusé. 
Au soir du second tour, La Nupes confirme de bons résultats en Ile-de-France avec 43 députés (47 pour Ensemble) dont la totalité des 12 élus de Seine-Saint-Denis. Dans le Val-de-Marne, elle passe de deux à six députés. Dans la Loire-Atlantique, elle remporte cinq des dix sièges au détriment de LREM. Dans l’Isère, elle gagne quatre des dix députés. 

Trois ministres battus
Parmi les trois ministres battus au second tour, le cas le plus emblématique est celui d’Amélie de Montchalin qui avait en charge le gros portefeuille, emblématique, de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Ancien député PS et ancien président du département de l’Essonne, Jérôme Guedj (Nupes-PS) l’a emporté contre elle avec 53,36% des suffrages. 
Autre échec : Brigitte Bourguignon, ministre de la Santé et de la prévention, perd d’un cheveu dans le Pas-de-Calais avec 49,94% des suffrages (seulement 56 voix d’écart avec la candidate du RN). Elle va donc aussi devoir quitter le gouvernement en pleine crise de l’hôpital et des urgences, sans oublier le dossier urgent des déserts médicaux. Enfin, Justine Benin, secrétaire d'État chargée de la Mer, est battue en Guadeloupe avec 41,35% des voix, face à Christian Baptiste (DVG), élu avec 58,65% des voix. 

Plusieurs têtes d’affiche LREM au tapis
En revanche, douze ministres ont été élus ou réélus députés. Stanislas Guerini gagne à Paris de justesse et devrait conserver le ministère de la Transformation et de la fonction publiques. On peut également citer la Premier ministre, Élisabeth Borne, qui l’emporte dans le Calvados avec 52,46% des voix. De même, Olivier Dussopt, le ministre du Travail, est réélu confortablement dans l’Ardèche (58,86%) comme Olivier Véran, ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement (55,53%). 
Des résultats loin d’être suffisants face au nombreux sièges perdus dont les plus symboliques sont ceux de Richard Ferrand, président de l’Assemblée nationale, battu dans le Calvados, ou de Christophe Castaner, ancien président du groupe LREM au Palais Bourbon et ancien ministre de l’Intérieur, dans les Alpes-de-Haute-Provence. Cas de figure identique pour son homologue du Modem, Patrick Mignola, battu dans la Savoie. 
Echec encore pour Laurent Saint-Martin (Val-de-Marne, LREM) qui avait le poste clé de rapporteur général du budget. Pour sa part, Barbara Pompili (LREM), ancienne ministre de la Transition écologique, est parvenue à retrouver son siège dans la Somme (53,13% des voix).
 

Philippe Pottiée-Sperry
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