Macron réélu président : ses forces et ses faiblesses
Les leçons du second tour du 24 avril ne manquent pas : le président réélu continue d’enregistrer ses meilleurs scores dans les grandes villes et l’ouest, Marine Le Pen en tête dans 28 départements contre seulement deux en 2017, une abstention encore en hausse, l’appel des élus locaux à « un dialogue loyal », une série de dossiers très urgents...
Emmanuel Macron a été réélu le 24 avril pour un second mandat avec 58,54% des voix contre 41,46% pour Marine Le Pen (+7,5 points par rapport à 2017), selon les chiffres du ministère de l’Intérieur. Toujours en hausse, l’abstention atteint 28,01% (25,44% au second tour de 2017), battant un nouveau record, le plus élevé depuis l’élection présidentielle de 1969 (31,1%). Pour sa part, le vote blanc atteint 4,57% des inscrits, soit près de 2,23 millions d’électeurs (543 609 au premier tour). Un chiffre encore plus important quand on y ajoute les 790 946 bulletins nuls. Malgré une réélection confortable du président sortant, ces résultats traduisent un contexte profond de défiance, voire de colère, et de fatigue démocratique que traverse le pays.
Parmi les départements les plus abstentionnistes figurent l’outre-mer le plus souvent au-delà de 50% (avec un record à 61,1% en Guyane) mais aussi la Corse du Sud (39,28%), la Haute-Corse (39,01%), la Seine-Saint-Denis (38,79%) ou encore le Val d’Oise (32,57%). A présent, une nouvelle campagne électorale va démarrer avec les législatives qui se tiendront les 12 et 19 juin prochains.
Abstention beaucoup plus forte chez les jeunes
Une fois encore, les jeunes sont les plus touchés par l’abstention. Ainsi, selon un sondage Ipsos Sopra Steria, publié le 25 avril, pas moins de 41% des 18-24 ans, 38% des 25-34 ans et 35% des 35-49 ans se seraient abstenus lors du second tour. Plus l’âge avance, plus les chiffres de l’abstention baissent. Ainsi, seulement 26% des 50-59 ans, 20% des 60-69 ans et 15% des plus de 70 ans ne se seraient pas rendus dans les bureaux de vote.
Autre enseignement : un clivage très net en fonction des catégories professionnelles, avec 77% de vote Macron chez les cadres et 59% parmi les professions intermédiaires, pour 67% de vote Le Pen chez les ouvriers et 57% parmi les employés. Selon Ipsos, « l'assise de Marine Le Pen s'est bien élargie par rapport à 2017, avec 11 points gagnés chez les ouvriers (56% en 2017), 11 points chez les employés (46% en 2017), 8 points au sein des professions intermédiaires (33%), 5 points chez les cadres (18% en 2017) ».
Deux France qui s’affrontent
Dans le détail des résultats, cette présidentielle reflète deux France qui s’affrontent. Confirmant la tendance de 2017, Emmanuel Macron connaît ses meilleurs résultats dans les villes et particulièrement les grandes villes et les métropoles : Paris (85,1%), Rennes (84,1%), Nantes (81,1%), Bordeaux (80,1%), Lyon (79,8%), Grenoble (78,7%), Strasbourg (77,6%), Toulouse (77,5%), Caen (76,7%), Lille (76,6%), Angers (76,5%), Rouen (76,20%), Nancy (76,18%), Poitiers (76,2 %), Metz (67,19%), Mulhouse (65,80%), Reims (61,83%)…
Géographiquement, les résultats les plus élevés se concentrent dans le grand ouest, le sud-ouest, la région parisienne et une partie est située de l’Isère au Bas-Rhin (58,96%). Emmanuel Macron gagne dans 73 départements avec ses meilleurs scores enregistrés dans les départements d’Ile-de-France : Paris (85,1%), Hauts-de-Seine (80%), Val-de-Marne (74%), Seine-Saint-Denis (74%), Yvelines (71%). Par ailleurs, il arrive en tête en Centre-Val de Loire (56,44% des voix) en s’imposant également dans tous les départements de la région. De même, il gagne dans les douze départements de la région Auvergne-Rhône-Alpes (56,76% contre 67,13% en 2017).
Scores très élevés de Marine Le Pen en outre-mer
Pour sa part, Marine Le Pen enregistre des scores très importants en outre-mer, atteignant 69,60% en Guadeloupe, 60,87% en Martinique, 60,70% en Guyane, 59,57% à La Réunion, 59,10% à Mayotte et 50,69% Saint-Pierre-et-Miquelon. Seules la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie ont vu le président sortant arriver en tête mais avec une très forte abstention (notamment 65,2 % en Nouvelle-Calédonie).
Sinon, la candidate du RN confirme son ancrage fort dans les Hauts-de-France (59,91% dans l’Aisne, 57,49 % dans le Pas-de-Calais, 52,73% dans l’Oise, 51,01% dans la Somme). Même constat sur une grande partie sud du pays (56,32% dans les Pyrénées-Orientales, 55,1% dans le Var, 54,9% dans l’Aude, 52,15% dans le Gard, 52,02% dans le Tarn-et-Garonne, 52% dans le Vaucluse, 51,45 % dans les Alpes-de-Haute-Provence) et en Corse (58,08%).
Marine Le Pen reste également forte dans la région Grand Est en étant en tête dans cinq des dix départements : Haute-Marne (56,66%), Ardennes (56,66%), Meuse (55,61%), Vosges (52,42%), Aube (51,68%). Dans la région Bourgogne-Franche-Comté, on peut également citer la Haute-Saône (56,90%) ou l’Yonne (51,59%). Au total, elle arrive en tête dans 28 départements contre seulement deux lors du second tour de la présidentielle de 2017.
Mises en garde des élus locaux
Parmi les premières réactions d’associations d’élus locaux à la réélection d’Emmanuel Marcon, celles-ci lui adressent leurs félicitations mais le mettent d'une certaine façon en garde. Ainsi l’AMF, tout en se disant « à la disposition du nouvel exécutif pour travailler ensemble sur toutes les questions relevant de l’organisation des pouvoirs publics, les problématiques des collectivités territoriales et du bloc communal », appelle à « un dialogue loyal et fécond avec l’Etat ». Pour sa part, François Sauvadet, président de l’ADF (Assemblée des départements de France), souhaite sur Twitter que « le Président Macron, tout au long de ce second mandat, entende la voix des territoires car là est sans doute la clé du rassemblement des Français ».
Toujours sur Twitter, Carole Delga, présidente de la région Occitanie mais aussi de Régions de France, s’inquiète d’une « élection [qui] dit beaucoup de la défiance qui traverse notre pays ». Selon elle, « les inégalités croissantes, la crainte du déclassement et l’inquiétude des Français pour l’avenir de leurs enfants se sont révélées dans l’abstention et les votes aux extrêmes ». En tant que maire et présidente de la métropole de Nantes, Johanna Roland, également à la tête de France urbaine, interpelle « le Président de la République [qui] doit prendre la mesure des fractures qui traversent notre pays ». Et de l’appeler à « répondre à la forte défiance et la colère qui s’expriment ».
Eviter « de nouveaux espaces de colère »
Sur le même registre, l’APVF (Association des petites villes de France) s'inquiète de « la triple fracturation politique, sociologique, et surtout territoriale du pays », révélée par les scrutins des 10 et 24 avril. Et d’insister sur les résultats dans les petites villes, les communes périphériques et rurales traduisant « une partie de la France qui a le sentiment d’avoir été abandonnée par les pouvoirs publics ». L’APVF souligne donc « l’urgence à créer les conditions d’un véritable pacte de confiance entre l’Etat et l’ensemble des territoires et d’en d’énoncer rapidement les contours sous peine de créer de nouveaux espaces de colère et de désillusion ». Enfin, l’association Intercommunalités de France (ex AdCF) souhaite « des discussions constructives pour la mandature à venir » et indique qu’elle fera part au Président et au futur gouvernement de ses propositions « dans l’intérêt des territoires et de nos concitoyens ».
Des dossiers urgents
Après une campagne électorale pour le moins atypique, pour cause de guerre en Ukraine et d’une crise sanitaire pas totalement terminée, on peut dire que les difficultés ne font en réalité que commencer pour le président réélu avec toute une série d'urgences économiques, sociales mais aussi écologiques. Dès le 24 avril au soir, Emmanuel Macron a reconnu que son second mandat ne sera « pas la continuité du quinquennat qui s’achève mais l’invention collective d’une méthode refondée ». Une allusion à la colère et la fatigue démocratique soulignées dans les résultats du scrutin présidentiel.
Parmi ses premiers dossiers figurent le prolongement des mesures de lutte contre la flambée des prix de l’énergie et la hausse de l’inflation mais aussi la revalorisation des pensions de retraites, des minima sociaux ou encore du traitement des fonctionnaires (hausse du point d’indice). Ils devraient passés par un projet de loi de finances rectificative examiné par le Parlement dès le mois de juillet. A cela s’ajoutera, à partir de la rentrée, le lancement d’une série de consultations sur l’école, la justice, la santé ou encore la réforme des institutions avec l’installation d’une commission transpartisane. Il est promis une nouvelle méthode de gouvernance pour mieux associer les fameux « corps intermédiaires » dont les élus locaux font partie mais aussi les citoyens.
Transition écologique
Ce programme bien chargé ne devra pas oublier l’urgence climatique et la série de promesses faites par Emmanuel Macron, le 16 avril à Marseille. Intéressant, l’engagement d’avoir un Premier ministre chargé de la planification écologique, épaulé par deux ministres « forts », ne suffira pas. Pour avancer sur la transition écologique et énergétique, il faudra aussi une profonde réforme du fonctionnement de l’action publique comme de la confiance et de la reconnaissance du rôle de premier plan joué sur ces sujets par les collectivités.