Alerte sur les inégalités d’accès aux services publics

Philippe Pottiée-Sperry
Image

Ce n’est pas la première fois que le Défenseur des droits, Jacques Toubon, tire la sonnette d’alarme. Dans un rapport spécifique, intitulé « Dématérialisation et inégalités d’accès aux services publics », et rendu public le 17 janvier (1), il pointe les millions de personnes exclues des démarches administratives en ligne.

Partager sur

Une situation qui pourrait encore s’aggraver avec la dématérialisation de tous les services publics prévue par le gouvernement à l’horizon 2022. Ce programme « ne pourra être atteint si la dématérialisation se fait à marche forcée, sans tenir compte des difficultés bien réelles d’une partie de la population et des besoins spécifiques de certaines catégories d’usagers », prévient le rapport.

 

12% des Français ne se connectent jamais à internet

Jacques Toubon a rappelé les chiffres éloquents du baromètre numérique 2018 du Credoc révélant que 12% des personnes de 12 ans et plus (7 millions de personnes) ne se connectent jamais à internet. Autre constat : un tiers des Français (18 millions de personnes) s’estime peu ou pas compétent pour utiliser un ordinateur. Les personnes les plus vulnérables sont celles qui ne maîtrisent pas l’usage d’internet, ne comprennent pas le langage administratif ou ne parlent pas bien le français, ou encore celles qui ne disposent pas d’une connexion internet de qualité, ne sont pas équipées d’ordinateur et de scanner, etc.

Ne « laisser personne de côté »Saisi de plusieurs milliers de réclamations sur les difficultés rencontrées par les usagers face à la généralisation de la dématérialisation des démarches administratives, le Défenseur des droits alerte sur les risques et dérives de cette transformation numérique. Même si cette évolution « inéluctable » est jugée « positive » par Jacques Toubon, qui cite notamment la la hausse des bénéficiaires du RSA et de la prime d’activité grâce à la dématérialisation, ou la création du coffre-fort numérique, il insiste néanmoins pour ne « laisser personne de côté ».
Zones blanches et grisesParallèlement aux personnes vulnérables, notamment les personnes âgées, il y a aussi une partie de la population mal desservie par internet (zones blanches et grises), particulièrement en milieu rural. Le rapport du Défenseur des droits indique que 500 000 personnes n’ont pas accès à une connexion internet fixe et que plus d’un tiers des habitants des communes de moins de 1000 habitants (75% des communes et 15% de la population) n’ont pas accès à un internet de qualité. Une double peine pour ce public déjà pénalisé de vivre dans des territoires enclavés loin des grandes villes où des démarches administratives physiques restent encore possibles.
Maisons de services au public : une réponse insuffisanteFace à ce constat, les maisons de services au public (MSAP) constituent-elles une bonne réponse ? Oui et non, répond Jacques Toubon. « Sur les 1300 MSAP existantes, la moitié se limite à être juste des lieux d’accueil sans accompagnement assuré par des représentants de chaque administration pour accéder à leurs sites et réaliser des démarches en ligne », explique-t-il. Un vrai regret sachant que ces structures se voulaient justement une réponse à la fracture territoriale subie par les zones rurales en y compensant le retrait des services publics.
Plusieurs recommandationsDans son rapport, le Défenseur des droits formule plusieurs recommandations dont la plus symbolique va à l'encontre du tout numérique en demandant de « conserver toujours plusieurs modalités d’accès aux services publics » et qu’ « aucune démarche administrative ne soit accessible uniquement par voie dématérialisée ». Jacques Toubon plaide aussi pour un « vrai programme de formation favorisant l’inclusion numérique ». Et de préciser : « positif, le programme lancé par le gouvernement en septembre dernier reste très insuffisant et ne permettra pas de former toutes les personnes concernées d’ici 2022 ». Il demande aussi qu’une partie des économies générées par la dématérialisation des services publics serve à financer des dispositifs pérennes d’accompagnement des usagers en difficulté avec le numérique. Le Défenseur des droits propose, en outre, la création d’une « clause de protection » permettant à l'usager de ne pas être tenu pour « responsable » du non-aboutissement de sa démarche en cas de problème technique. Autres propositions : améliorer et simplifier les démarches dématérialisées pour les usagers en favorisant l’usage d’un identifiant unique ; renforcer la formation initiale et continue des travailleurs sociaux et des agents d’accueil des services publics à l’usage numérique, à la détection des publics en difficulté et à leur accompagnement…Enfin, Jacques Toubon demande une nouvelle fois que tous les sites soient accessibles aux différentes formes de handicap. Et de regretter que « le référentiel général d’accessibilité demeure beaucoup trop peu utilisé ».
Philippe Pottiée-Sperry
Philippe Pottiée-Sperry
Partager sur

Inscrivez-vous gratuitement à nos newsletters

S'inscrire