Circulaire sur le nuançage politique : suspension partielle par le Conseil d’Etat

Philippe Pottiée-Sperry
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La circulaire aux préfets du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, datée du 10 décembre dernier, demandait aux préfets de ne pas nuancer politiquement les listes et candidats dans les communes de moins de 9000 habitants aux prochaines municipales des 15 et 22 mars.

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Ce seuil était auparavant fixé à 1000 habitants. L’interdiction de ce nuançage politique d’office a suscité une forte levée de boucliers. Pas rendue publique, cette circulaire a pu néanmoins être publiée par certains médias dont Public Sénat.

La décision du Conseil d’Etat, rendue publique le 31 janvier, était donc très attendue. Dans le détail, elle suspend trois séries de dispositions importantes de la circulaire du 10 décembre 2019 : l’attribution des nuances dans les seules communes de 9000 habitants ou plus, les conditions d’attribution de la nuance « liste divers centre » et le classement de la nuance « liste Debout la France » dans le bloc « extrême droite ».

Une décision unanimement saluée

Droite et gauche ont unanimement salué cette décision. « Le Conseil d'État vient d'infliger un véritable camouflet au gouvernement », a ainsi estimé le président du groupe LR au Sénat Bruno Retailleau. Selon lui, la circulaire Castaner qui « cherchait à tripatouiller le résultat des élections municipales s'apparentait à un coup de force contre la démocratie ». Même son de cloche du côté de Patrick Kanner, président du groupe PS au Sénat, pour qui le Conseil d'État « condamne la manipulation du scrutin et l'effacement des résultats de 97% des communes ». Pour sa part, Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, a indiqué de façon laconique dans un communiqué qu’il prend « acte de l’ordonnance du Conseil d’Etat », en ajoutant que « la circulaire sera modifiée pour tenir compte de cette ordonnance, sans renoncer à répondre aux demandes des élus locaux et à correspondre aux mutations du paysage politique français ». Le seuil sera donc baissé mais à combien d’habitants ?

Levée de boucliers

Pour rappel, dans la levée de boucliers contre ce texte, la tribune d’un collectif de 44 chercheurs, publiée dans le Monde, dénonçait une « atteinte à un principe fondamental de notre démocratie municipale, à savoir la connaissance pleine et entière des affiliations politiques des candidats en lice ». Et d’expliquer que dans ces conditions 97 % des communes auraient été gouvernées, après mars, « par des maires sans affiliation partisane ou dont on ne veut rien savoir. Rapporté à la population, c’est 53 % du corps électoral qui serait privé d’une information cruciale sur l’identité politique de leurs candidats ».Parmi les associations d’élus locaux, l’Association des maires de France (AMF) a demandé le retour à l’ancien seuil de 1000 habitants et la création d’une catégorie de nuance « non-inscrit ou sans étiquette ». De son côté, l’Association des maires ruraux de France (AMRF) avait plutôt salué la circulaire Castaner en estimant que l’absence de nuançage politique « doit impérativement s’appliquer pour les communes de moins de 3500 habitants ». Et de proposer que « la case sans étiquette politique figure sur le formulaire administratif, parmi les choix de nuançage possible ».

Non prise en compte de l’expression politique de 40% du corps électoral

Le Conseil d’Etat a souligné que la limitation des nuances politiques aux listes des seules villes de plus de 9000 habitants conduit, dans plus de 95% des communes, à ne pas attribuer de nuance politique et exclut ainsi de la représentation nationale des résultats les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs. En outre, si, pour plus de 80% des listes présentées dans ces communes, les nuances attribuées lors des précédentes municipales ne correspondaient pas à celles d’un parti politique, il avait été possible dans le passé d’attribuer des nuances intitulées « divers droite » et « divers gauche » pour trois quarts d’entre elles, reflétant ainsi les choix politiques des électeurs. « Le seuil retenu par la circulaire a, en conséquence, pour effet potentiel de ne pas prendre en considération l’expression politique manifestée par plus de 40% du corps électoral pour les prochaines élections », estime ainsi le Conseil d’Etat. Et d’en déduire qu’une telle limitation ne pouvait être appliquée, au regard de l’objectif d’information des citoyens poursuivi par la circulaire.

Refus de la nuance « divers centre » contraire au « principe d’égalité »

La circulaire prévoyait que seule l’investiture par un parti politique, et non son simple soutien, permet d’attribuer une nuance politique à une liste. Mais en faisant exception à cette règle pour les seules listes soutenues par la LREM, le Modem, l’UDI ou par « la majorité présidentielle », dont les résultats auraient été comptabilisés dans la nuance « divers centre », alors que le soutien d’un parti de gauche ou de droite à une liste ne permet pas de prendre en compte les résultats au titre des nuances « divers gauche » et « divers droite ».Le Conseil d’État a estimé que la circulaire instituait ici « une différence de traitement entre les partis politiques, et méconnaissait dès lors le principe d’égalité ».

Pas de classement de LDLF dans le bloc « extrême droite »

Enfin, le Conseil relève que le classement de la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc « extrême droite » ne s’explique que par le soutien apporté par le président de « Debout la France », à l’issue du premier tour de la présidentielle de 2017 à Marine Le Pen. Mais il n’a été pas pris en compte, notamment dans le programme de ce parti. De plus, il n’y a pas eu d’accord électoral conclu avec le Rassemblement national. Dans ces conditions, il estime que « ce classement de la nuance « Liste Debout la France » (LDLF) dans le bloc « extrême droite » ne s’appuyait pas sur des indices objectifs ».Philippe Pottiée-Sperry
Philippe Pottiée-Sperry
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