Comment s’attaquer à l’abstention

Philippe Pottiée-Sperry
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Face à une abstention dépassant le cap de 50% aux différents scrutins ces dernières années, l’alerte est sonnée ! Symptôme d’une crise démocratique profonde, elle a même atteint plus de 65% au premier et second tour des dernières élections départementales et régionales de juin 2021. Dans ce contexte, la mission d’information de l’Assemblée nationale, « visant à identifier les ressorts de l’abstention et les mesures permettant de renforcer la participation électorale », a remis ses propositions, le 15 décembre, à Marlène Schiappa, la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté. Cette mission de 26 membres avait été créée en juin dernier à la demande du président de l'Assemblée, Richard Ferrand, suite au taux record d'abstention des régionales et départementales. Son rapport s’appuie sur une trentaine d’auditions, une consultation des Français sur le site de l’Assemblée nationale (172 694 répondants) et la prise en compte de travaux réalisés par la Fondation Jean Jaurès et la Fondation pour l’innovation politique.

7,6 millions de mal-inscrits

Après plusieurs mois de travaux, la mission, dont le président était Xavier Breton (LR, Ain) et le rapporteur Stéphane Travert (LREM, Manche), pose un diagnostic sur les causes structurelles de la hausse continue de l’abstention. Parmi les raisons citées par les personnes qui envisagent de s'abstenir au premier tour de la présidentielle, 30% des répondants à la consultation menée en octobre 2021 sur le site de l'Assemblée évoquent surtout « le sentiment que c'est la même politique qui est menée quel que soit le parti au pouvoir ». La mission explique aussi les différences entre « l'abstention choisie » et « l'abstention subie ».

Autre chiffre inquiétant : 6% de Français en âge de voter (3 millions de personnes) ne sont pas inscrits sur les listes électorales selon l'Insee. A cela s’ajoutent 7,6 millions de mal-inscrits en 2020 qui sont des électeurs présents sur une liste dans une autre commune que celle où ils sont domiciliés. Depuis les années 1980, l'abstention augmente et touche tous les scrutins sauf celui de l'élection présidentielle. Jusqu’à présent ! Même le scrutin municipal a connu une certaine désaffection en 2020, et la crise sanitaire n’est qu’une partie de l’explication. Selon le rapport d'information, deux raisons principales expliquent ce « phénomène de masse » : la hausse du vote intermittent (les électeurs votent en fonction des enjeux) et la hausse de l’abstention systématique (désintérêt pour les élections), véritable « rupture avec les urnes ». Les députés soulignent que les plus jeunes et les moins diplômés sont les plus concernés.

28 recommandations

Pour limiter l’abstention, le rapport formule 28 propositions dont l’inscription automatique sur la liste électorale de la nouvelle commune en cas de déménagement ou la possibilité d’avoir deux procurations lors de tous les scrutins nationaux, locaux et européens. Il prône aussi l'expérimentation, dans les communes volontaires, du vote par correspondance et par internet lors de prochaines élections locales (ou lors de référendums locaux) comme l'expérimentation de manière territorialisée du vote par anticipation.

Autres préconisations : le vote dans la commune de son choix lors des élections liées à la présidentielle, aux européennes et aux référendums en se fondant sur le répertoire électoral unique ; le développement des référendums d’initiative locale, des consultations citoyennes et des ateliers citoyens ; la simplification des scrutins pour les élections des conseillers départementaux et régionaux. Très débattue lors des débats de la mission, la reconnaissance du vote blanc n’a finalement pas été retenue dans ses propositions afin d’éviter un « risque de paralysie » et une « atteinte à la légitimité des élus ». Pourtant, la possibilité du vote blanc a été plébiscitée par les personnes ayant participé à la consultation réalisée en octobre 2021 sur le site de l’Assemblée : 88% d’entre eux estiment que cette reconnaissance les inciterait à aller voter. Par ailleurs, l'instauration du vote obligatoire n'a pas été retenue parmi les recommandations de la mission parlementaire.

Démocratie participative dans les collectivités

Pour « repenser la démocratie représentative », la mission préconise de faire évoluer les modalités de choix de l’électeur en privilégiant des « modes de scrutin alternatifs ». Concernant « les consultations menées au niveau local », elle propose « l’utilisation du jugement majoritaire par lequel les candidats à une élection sont évalués » et se voient attribuer « une mention sur une échelle commune ». Pour rendre plus simples et lisibles les élections départementales et régionales, la mission plaide pour « réfléchir à un rapprochement des modes d’élection des conseillers départementaux et régionaux ». Il s’agirait d’un retour du conseiller territorial.

Autre proposition : améliorer l’ancrage local des parlementaires qui passerait par leur participation, avec voix consultative, dans les bureaux des conseils communautaires des EPCI situés sur leur territoire, ainsi que dans les conférences territoriales de l’action publique (CTAP). Pour favoriser la participation et renforcer la démocratie participative dans les collectivités, la mission recommande de développer les référendums d’initiative locale, les consultations citoyennes et les ateliers citoyens. Autre proposition : créer une plateforme de la vie démocratique permettant aux citoyens d’interpeller les élus, à tous les niveaux.

Education à la citoyenneté des jeunes

Parmi les autres recommandations, on peut également citer la diffusion dématérialisée de la propagande électorale par mail ou sur une application particulière tout en maintenant la distribution du matériel de votre chez chaque électeur ; la mise en place d’un service public de transport des personnes en situation de dépendance le jour du vote ; ou la mobilisation des mouvements d’éducation populaires pour former à la citoyenneté.

En direction de la jeunesse, la mission prône le renforcement de l'éducation à la citoyenneté dans le parcours scolaire. Cela passerait par un parcours citoyen dans la scolarité des élèves, en augmentant le nombre d’heures y étant consacrées, et en prévoyant l’évaluation des connaissances acquises. Autre levier : mieux reconnaître l’engagement en tant que délégué de classe et au sein des conseils de la vie lycéenne et collégienne, notamment dans le dossier scolaire et lors des examens. Il est aussi suggéré d’encourager le développement des conseils de jeunes dans les collectivités ou de créer un « Parlement des collégiens et des lycéens » sur le modèle du « Parlement des enfants ». Autre proposition : systématiser la remise des cartes électorales aux jeunes majeurs lors de cérémonies de citoyenneté.

Application dès les prochaines élections ?

Stéphane Travert, le rapporteur de la mission, a estimé que des recommandations « comportent des évolutions importantes dont certaines pourraient s’appliquer dès les prochaines élections s’agissant des modalités d’inscription sur les listes électorales ou de l’établissement des procurations ». Il espère que la possibilité du vote dans la commune de son choix et de deux procurations soient mises en œuvre dès les prochains scrutins, d’autant plus que la présidentielle aura lieu en période de vacances scolaires. Mais on peut craindre que le timing soit beaucoup trop serré pour cela. Le concernant, Xavier Breton, le président de la mission, a jugé que ces « mesures techniques » ne suffiront pas à court terme à supprimer l’abstention : « nous devons entamer un travail de fond pour que notre démocratie représentative, qui est en danger, suscite de nouveau la confiance de nos concitoyens ». A noter que les députés LR n’avaient pas voté le rapport, ne le jugeant « pas à la hauteur des enjeux ».

Philippe Pottiée-Sperry

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