Décryptage des annonces d’Emmanuel Macron

Philippe Pottiée-Sperry
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Très attendue suite au grand débat national, la conférence de presse d’Emmanuel Macron, qui s’est tenue le 25 avril, a donné lieu à de nombreuses annonces économiques, sociales et, surtout, institutionnelles.

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Dès le début de son discours, il a salué l’action et le rôle des élus locaux, en particulier des maires qui sont « le visage de la République », en leur promettant un « statut de l’élu local digne de ce nom » et en défendant fermement la démocratie représentative.

Un nouvel acte de décentralisation

Sur le volet institutionnel, le chef de l’Etat a promis « un nouvel acte de décentralisation adapté à chaque territoire » qui « devra aboutir au premier trimestre 2020 ». En pratique, il porterait « sur des politiques de la vie quotidienne, le logement, le transport, la transition écologique, pour garantir des décisions prises au plus près du terrain ». Jugeant sévèrement les décentralisations passées, n’ayant pas permis de « véritables économies », il estime que les transferts se sont effectués sur « des bouts de compétences avec une partie des financements », donnant au final « un imbroglio » et l’absence de transfert de « la responsabilité démocratique ». « Les questions territoriales vont occuper une place fondamentale de l’acte II de ce quinquennat », a commenté Sébastien Lecornu, ministre en charge des Collectivités territoriales, dans une interview au Parisien le 28 avril. Il a aussi précisé que, dans le cadre de cette réforme, la révision de la loi NOTRe, très souvent évoquée par les élus et le chef de l’Etat lui-même durant les réunions locales du grand débat, sera traitée. A l’issue du séminaire gouvernemental qui s’est tenu le 29 avril sur les suites du grand débat et les annonces du président de la République, Edouard Philippe a indiqué qu’il réunira la première semaine de juin « les représentants des associations d'élus afin d'avancer avec eux sur les sujets de décentralisation ». Jusqu’à décembre, ils seront également sollicités pour participer à la déconcentration des décisions de l’État.L’amélioration du statut de l’élu passera « par plus de formation, plus de reconnaissance des compétences acquises au cours des mandats afin qu’elles soient valorisées dans le cadre des parcours professionnels », a précisé Sébastien Lecornu. Sur le calendrier, le Premier ministre a ajouté : « nous avancerons au cours du mois de juin sur le statut des maires ».

L’AMF « perplexe » sur le calendrier annoncé

Selon Emmanuel Macron, « une vraie république décentralisée ce sont des compétences claires que l'on transfère totalement en supprimant les doublons et en transférant les financements et la responsabilité démocratique ». Il souhaite ainsi « un geste de décentralisation extrêmement clair » en insistant aussi sur le principe de la différentiation territoriale, mesure contenue dans la réforme constitutionnelle qui va être relancée. Et de citer les situations spécifiques des outremers mais aussi de l’insularité et la montagne. Il plaide ainsi pour « différencier, adapter nos règles, notre organisation, et trouver plus de liberté ». Parmi les réactions des associations d’élus locaux, l’AMF se réjouit de « l’hommage rendu aux maires » mais demande, une nouvelle fois, qu’il se traduise « par la reconnaissance de la place particulière de la commune et de sa clause de compétence générale dans la Constitution ». Satisfaction également sur l’annonce d’un nouvel acte de décentralisation mais pas sur son calendrier. « Annoncé pour le premier trimestre 2020, il interviendrait en pleine élection municipale, regrette l’AMF. Cela risque d’introduire une incertitude supplémentaire dans un scrutin déjà marqué par l’inconnu de la compensation de la taxe d’habitation » (TH). Ce « sujet crucial du remplacement de la TH qui représente 20 Md€ soit le tiers des recettes fiscales du bloc communal » est jugé prioritaire par Villes de France (villes moyennes).
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Pas un mot sur le remplacement de la TH

Dans la même veine, Territoires Unis (AMF, ADF et Régions de France) attend « que le gouvernement clarifie la méthode de mise en œuvre du nouvel acte de décentralisation en se montrant plus respectueux des exécutifs locaux et soucieux de coconstruire des solutions innovantes ». Sévère, il affirme que « les communes, les départements et les régions sont déterminés à prendre solidairement toutes leurs responsabilités dans ce nouveau dialogue à condition qu’il ne soit pas un jeu de dupes ».Pour sa part, l’APVF (Association des petites villes de France) estime que « le nouvel acte de décentralisation ne sera réussi que s’il s’inscrit pleinement dans la perspective d’une nouvelle solidarité entre les territoires ». Elle réitère ainsi une nouvelle fois sa proposition de créer « un fonds national de solidarité territoriale » alimenté par les métropoles, l’Etat et les fonds européens pour « une meilleure diffusion des richesses envers les territoires les plus fragiles ». De son côté, France urbaine se dit « prête » à la perspective de plus de décentralisation : « C'est le moyen de répondre au plus près aux besoins de nos concitoyens en assumant pleinement nos responsabilités ». Quant à l’AdCF (Assemblée des communautés de France), elle soutient également cette « volonté de poursuivre la décentralisation » mais à condition qu’il ne s’agisse pas d’une « nouvelle réorganisation globale des collectivités, après toutes celles engagées ces dix dernières années ». Elle estime que « ces ‘big bangs’ institutionnels ont consommé beaucoup de temps et d’énergie pour les élus ». « Les prochains mandats locaux devront être consacrés à 100% à nos concitoyens et à nos forces vives économiques, considère Jean-Luc Rigaut, président de l’AdCF. Nous aurons aussi beaucoup à faire avec la réforme fiscale qu’imposera la suppression de la taxe d’habitation ». Sur ce sujet de la TH, plusieurs associations d’élus locaux regrettent que pas un mot n’ait été prononcé par le chef de l’Etat.

Un « nouveau pacte territorial »

Emmanuel Macron estime que l’Etat dans les territoires devra « savoir s'adapter » à ce nouveau contexte. « Sur le terrain, on a besoin de fonctionnaires, de médecins, d'instituteurs, de professeurs, d'artistes », a-t-il indiqué. Le président de la République a ainsi annoncé un « nouveau pacte territorial » pour « remettre de la présence de services publics, assurer l'accès aux services publics à moins de 30 mn avec un accompagnement personnalisé pour les démarches de la vie quotidienne, assurer l'accès aux soins pour tous ». Parmi les réactions, l’AMRF (Association des maires ruraux de France) a insisté sur les besoins de mobilité pour atteindre ces objectifs, qui manquent souvent cruellement en milieu rural. Très attendu sur l’annonce d’un moratoire, Emmanuel Macron a promis qu’il n’y aurait plus « d'ici à la fin du quinquennat de nouvelles fermetures, ni d'hôpitaux ni d'écoles, sans l’accord du maire ». Selon le ministère de l’Education nationale, des fermetures d’écoles resteront possibles si le « nombre d’élèves est reconnu trop faible par l’ensemble des parties » ou en cas de « projet de réorganisation locale des classes et écoles recueillant le consensus des élus et de l’Education nationale ». Le chef de l’Etat a aussi évoqué le développement de « campus connectés pour les études universitaires dans les villes moyennes ». Mais sans donner plus de précisions. Voulant lutter contre la fracture entre urbain et rural, fortement ressentie dans la crise des gilets jaunes, il veut faire du nouveau projet pacte territorial un levier pour « réconcilier la métropole, la ville moyenne et le rural car ce sont des mêmes projets qu'il faut faire émerger dans ces espaces que l'on a trop longtemps divisés ».

Un lieu d’accueil « France service » dans chaque canton

Concernant les fonctionnaires de l’Etat, Emmanuel Macron a redit son sentiment qu’« il y a trop de monde à Paris ». Conséquence : « remettre plus de fonctionnaires sur le terrain et supprimer plus de postes en administration centrale ». Il a été demandé au Premier ministre dès le mois de mai « une profonde réorganisation de notre administration qui vise à donner plus de pouvoirs et de responsabilités au terrain ». Autre annonce : la présence d’une structure, baptisée « France service », dans chaque canton sur le modèle des maisons de services au public (MSAP) au nombre de 1300 aujourd’hui. L’objectif sera donc d’atteindre le cap des 2000. Ces lieux regrouperaient l'accueil pour le public de services de l'État mais aussi des collectivités locales et de tous les opérateurs, afin de donner plus de « simplicité » et « visibilité » à la population. Le Premier ministre a évoqué un « bouquet de services ».Parmi les réactions, l’AMRF, par la voix de son directeur Cédric Szabo, dans une interview au Figaro, se méfie de cette annonce estimant que « la vraie maison de service public existe déjà, c’est la mairie ». Selon lui, « il faut penser en réseau et redonner aux communes les moyens de travailler en coopération avec les MSAP ». Au-delà, le directeur de l’AMRF préfère comme solution que « la mairie soit confortée dans ce rôle de premier contact de proximité où les habitants sont guidés vers la bonne administration, où l’on pourra leur dire à quoi ils ont le droit, où l’on pourra les aider à remplir un formulaire ».Pour sa part, l’AdCF reste dubitative en se demandant si « ces nouvelles orientations ont vocation à se traduire par une reprise en main des MSAP par les services de l’Etat ». Comme l’APVF, elle doute de l’échelle retenue des cantons pour déployer les MSAP qui « ne coïncident plus du tout aux bassins de vie et espaces vécus de nos concitoyens ». En outre, la plupart des nouveaux cantons, redécoupés en 2014, « sont très mal articulés avec les intercommunalités, institutions mieux organisées, en lien avec leurs communes, pour porter des politiques publiques et assurer des missions de services publics ».

Réforme de la haute fonction publique

Sur le sujet sensible de l’école, le chef de l’État a confirmé que le dédoublement des classes de maternelle dans les quartiers prioritaires serait « étendu à la grande section de maternelle » à la rentrée 2020. Cette extension, qui bénéficiera à environ 150 000 élèves de REP et REP+, se traduira par la création d’environ 6 000 classes supplémentaires. De plus, de la grande section de maternelle au CE1, les classes ne dépasseront pas 24 élèves. Environ 1,4 million d’élèves seront concernés par cette mesure qui s’échelonnera de la rentrée 2020 à la rentrée 2022, avec à la clef la création de 3000 à 5000 classes supplémentaires. Interrogé sur le maintien ou non de l’objectif de réduction de 120 000 postes de fonctionnaires (50 000 dans la FPE et 70 000 dans la FPT), d’ici la fin du quinquennat, suite à ses différentes annonces, le chef de l’Etat s’est dit prêt à l’« abandonner » si « ce n’est pas tenable ». Cela n’a pas empêché le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, d’estimer, dès le lendemain, que l’objectif restait « atteignable ». Mais, selon lui, surtout dans la FPT… Président du CSFPT (Conseil supérieur de la fonction publique territoriale), Philippe Laurent juge que cette « suppression de 70 000 postes prévue dans la seule FPT n'est qu'un voeu pieux ». « C'est une décision qui n'appartient qu'aux maires », a-t-il déclaré. Par ailleurs, Emmanuel Macron appelle à une « réforme de la haute fonction publique ». En termes de recrutement, de formation (plus d’ouverture au monde académique, à la recherche, à l'international, au monde universitaire) ou de gestion des carrières. Sur ce sujet, une mission a été confiée à Frédéric Thiriez, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, mais aussi ancien président de la Ligue professionnelle de football et ancien élève de l’Ena. Le chef de l’Etat souhaite également « mettre fin aux grands corps ». Le rapport de Frédéric Thiriez sera rendu en novembre.

Un « droit d'interpellation des élus »

Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, dont un nouveau projet de loi sera présenté au conseil des ministres début juillet a précisé Edouard Philippe, le mode de scrutin des élections législatives devrait contenir « une part significative de proportionnelle » (environ 20%). De plus, Emmanuel Macron veut réduire le nombre de parlementaires de l’ordre de 30%. Mais il se dit déjà prêt à faire un geste en direction du président du Sénat, Gérard Larcher : « Si c’est 25 %, je n’en ferai pas un point de blocage. »En revanche, il a fermé la porte aux demandes de vote obligatoire et de reconnaissance du vote blanc. Refus également du référendum d'initiative citoyenne (RIC), une des revendications fortes des gilets jaunes, préférant l’élargissement du référendum d’initiative partagée (nécessité d’un million de signataires d’une pétition contre 4,5 millions aujourd’hui). De plus, au niveau local, le droit de pétition se traduira par « un droit d'interpellation des élus » afin d’inscrire un sujet à l'ordre du jour d'une assemblée locale. Concernant le Conseil économique social et environnemental (Cese), ses membres seront complétés par des citoyens tirés au sort pour « représenter pleinement la société ». Ce « conseil de la participation citoyenne » sera également refondé en reprenant l'ensemble des compétences de consultation « émiettées entre plusieurs comités, souvent peu clairs ». Avant même l’adoption de la réforme constitutionnelle, Emmanuel Macron souhaite, dès le mois de juin, tirer au sort 150 citoyens pour démarrer ce conseil de la participation citoyenne.
Philipe Pottiée-Sperry
Philippe Pottiée-Sperry
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