Elections locales : abstention historique et forte prime aux sortants
66,72% (1). Le taux d’abstention du premier tour des élections régionales du 20 juin a battu tous les records, à l’exception du référendum de 2000 sur le quinquennat présidentiel (69,81%), soit près de 17 points de plus qu'en 2015 !
Le score n’est pas mieux pour les départementales avec 66,68% (contre 49,83% en 2015). De biens tristes résultats pour des élections qui auraient dû mettre en avant deux échelons de collectivité aux avant-postes, avec les communes, depuis le début de la crise sanitaire, également économique et sociale. Les présidents de région n’ont jamais eu une telle visibilité, montrant leur forte implication et le poids politique croissant qu’ils ont acquis au fil des années. Leurs compétences n’ont cessé de s'étoffer (transports, formation professionnelle, aides économiques, réindustrialisation…) avec un impact concret pour les populations. Particulièrement touché par la crise sanitaire, avec une région et son président qui se sont démultipliés dans leurs actions, le Grand Est enregistre pourtant la plus forte abstention (70,38%). Avec 31,15%, Jean Rottner est malgré tout dans une position très favorable pour le second tour. A l’opposé, la Corse est la seule à avoir connu une participation électorale supérieure à 50% (abstention de 42,92%). Si le phénomène d’une campagne nationale pour des scrutins aux enjeux locaux n’est pas nouveau, il s’est considérablement accru cette année. Le détail des résultats du premier tour des régionales est disponible sur le ministère de l'Intérieur.
Une campagne électorale trop nationalisée
Les explications de ces résultats ne manquent pas entre une crise démocratique profonde, encore aggravée avec la pandémie, ou des niveaux de collectivités encore mal connus des citoyens. La désaffection des jeunes s’accroit encore dangereusement comme le montrent certains sondages. Selon une étude réalisée par Ipsos-Sopra Steria, pour Radio France et France Télévisions, 87% des 18/24 ans ne se sont pas déplacés aux urnes et 83% des 25/34 ans. À l'inverse, les plus âgés, 70 ans et plus, ont été « seulement » 40% à s'abstenir.
La complexité du millefeuille territorial est aussi souvent évoquée mais, soyons honnêtes, il ne l’est pas plus que chez nos voisins et les autres démocraties ! Une chose est sure : la campagne électorale, beaucoup trop nationalisée et axée sur le thème de la sécurité, qui ne relève ni de la compétence du département ni de celle de la région, n’aura rien fait pour mobiliser les électeurs sur les vrais enjeux en présence. D’autant que la période actuelle de semi-sortie de la crise sanitaire a également empêché d’avoir une campagne normale – en « présentiel » – plus proche des habitants et donc plus instructive pour eux.
Des modes de scrutin très différents
Par ailleurs, les élections départementales, malgré le rôle clé de ces collectivités en matière d’action sociale, comme l’a démontré la crise sanitaire, auront été quasiment invisibles durant la campagne. Pour arranger le tout, la présence de deux élections en même temps mais avec des modes de scrutins très différents n’a rien fait pour simplifier les choses ! Pour les régionales, il s’agit d’un scrutin de liste à deux tours avec représentation proportionnelle à la plus forte moyenne avec prime majoritaire. Les listes de candidats sont régionales et sont constituées d’autant de sections qu’il y a de départements dans la région. Concernant les départementales, il s’agit d’un mode de scrutin binominal mixte majoritaire à deux tours, unique en son genre (créé par la loi du 17 mai 2013 notamment pour améliorer la parité très mal assurée dans les départements jusqu’alors). Chaque canton élit un binôme composé d’une femme et d’un homme.
Ratés dans la diffusion de la propagande électorale
Autre élément n’ayant pas facilité la participation : l’absence de diffusion auprès de certains électeurs des documents officiels de propagande électorale (professions de foi et bulletins de vote). Une critique largement relayée lors de la soirée électorale du 20 juin. Dès la veille, Territoires Unis (AMF, ADF et Régions de France) s’étaient alarmés de cette situation. « Dans un contexte sanitaire qui a fortement réduit la capacité à faire campagne, ces documents sont d’autant plus indispensables pour éclairer le choix de nos concitoyens », ont-ils insisté en appelant le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, à « mobiliser des moyens exceptionnels afin de satisfaire aux règles élémentaires de la démocratie ». Les trois associations d’élus ont fustigé « la défaillance du service public national des élections [qui] ne peut qu’alimenter l’abstention ». Et de regretter qu’il ait été en grande partie privatisé avec des prestataires ne semblant pas avoir d’obligation de résultat garantissant que tous les électeurs reçoivent en temps et en heure l’ensemble des informations nécessaires. Le ministre de l’Intérieur n’a pas tardé à réagir en reconnaissant « des dysfonctionnements inacceptables liés à la qualité de l'acheminement de la propagande électorale ». Ayant convoqué dès le 21 juin matin les dirigeants de la société privée Adrexo et de la Poste, attributaires du marché public, il leur a demandé de garantir que ces dysfonctionnements ne se reproduisent pas pour le second tour. Le soir même ils devaient avoir présenté un certain nombre d'engagements en ce sens. Sur ce sujet, Gérald Darmanin sera entendu par la commission des lois du Sénat, dès le 23 juin à 8h, notamment pour expliquer les mesures prévues pour le second tour.
Stabilité de la carte politique des départements
Réagissant aux résultats des élections départementales , Dominique Bussereau, le président de l’ADF (Assemblée des départements de France), a salué « une très grande stabilité à attendre dans la carte politique des départements avec de belles victoires de premier tour et de très belles victoires putatives car le seuil de 25% d’inscrits a été rude à franchir ! ». En effet, le mode de scrutin départemental est particulièrement difficile en cas de forte abstention sachant que pour être élu au premier tour, il faut obtenir au moins 25% des inscrits et pour se maintenir au second tour, il faut au moins 12,5% des inscrits au premier tour. Les seconds tours se joueront donc souvent entre les deux binômes arrivés en tête, sachant qu’ils sont automatiquement qualifiés même s’ils n’ont pas réussi à obtenir 25% des inscrits. Conséquence : à la différence de 2015, il n’y aura quasiment aucune triangulaire.
Au soir du premier tour, sur un total de 2054 cantons, seulement un peu plus de 100 avaient été élus. Rappelons que le nombre total de conseillers départementaux à élire s’élève à 4108.
Une forte prime aux sortants
Tous les présidents sortants de région se représentaient. Sauf Renaud Muselier (LR) en PACA, tous sont arrivés en tête du premier tour et parfois très largement, confirmant ainsi un phénomène de forte prime aux sortants. En clair, l’abstention massive ne les a pas pénalisés. Cela est vrai à droite avec des scores parfois supérieurs à 40% (Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes) mais aussi à gauche avec le meilleure résultat (39,57%) enregistré par Carole Delga (PS) en Occitanie. Même les socialistes en difficulté dans les sondages des derniers jours (Centre-Val-de-Loire, Bourgogne-Franche-Comté) s’en sortent assez bien. Il serait donc possible que tous les présidents actuels de région soient reconduits à l'issue du second tour.
Cette prime aux sortants a également été très présente pour les départementales. Les majorités sortantes ont ainsi plutôt bien résisté, et les basculements de départements à l’issue du second tour devraient être assez limités. Sept ou huit départements pourraient être concernés.
Philippe Pottiée-Sperry
(1) Chiffres définitifs du ministère de l'Intérieur.
(2) Pour aller plus loin, découvrez les podcasts de vie-publique.fr sur les élections régionales et départementales
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