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Focus sur le vécu des territoriaux durant le confinement

Philippe Pottiée-Sperry
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À l’initiative de la MNFCT (Mutuelle nationale des fonctionnaires des collectivités territoriales), une étude qualitative menée auprès d’agents territoriaux vient d’être publiée afin de comprendre leur vécu du confinement et du déconfinement du printemps dernier.

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Elle prend en compte la diversité des métiers, des catégories, des filières et des régions. Réalisée par la chercheuse et psychologue du travail Cindy Felio, l’étude fait entendre, souvent sans filtre, la parole d’agents qui au quotidien font vivre le service public local. « Notre objectif est de contribuer à l’amélioration de la santé de nos collègues et de leurs familles, quelles que soient les circonstances, explique Éric Marazanoff, le président de la MNFCT. En soutenant cette étude, nous espérons apporter notre pierre à la compréhension du moment présent et, ainsi, à la construction de perspectives nouvelles pour améliorer le travail et ses conditions dans les services publics locaux ».

Un échantillon de 34 agents

Sylvie, Cédric, Emmanuelle, Nathalie, Olivier ou encore Michel, qu’ils soient en télétravail, en ASA (autorisation spéciale d’absence) ou sur le terrain, témoignent d’un attachement à leurs missions mais aussi de leur souffrance et d’un mal-être. L’étude s’appuie sur les récits de 34 agents territoriaux réalisés entre juin et septembre. À part égale, l’échantillon se compose de 17 agents exerçant en Ile-de-France et 17 en province. 20 sont des femmes et 14 des hommes. Ils représentent l’ensemble de métiers, de cadres d’emplois et de grades de la FPT.

Ressenti et valeurs

En partant de la suggestion de « la situation de confinement », les mots associés par les agents portent majoritairement sur leur ressenti (les sentiments), sur des valeurs (la liberté), sur le thème de la santé et de la sécurité, sur celui de l’emploi, du défaut d’anticipation et d’absence de socialisation (le manque) et enfin du rapport au temps. Les sentiments associés font surtout référence au champ lexical de la peur et de l’appréhension d’un phénomène (exemples : « peur », « stress », « solitude », « tristesse », « angoisse »). Cette catégorie de mots en référence à des sentiments négatifs demeure la plus évoquée dans les propositions. Le deuxième thème qui se dégage le plus du triptyque respectif associé par les agents représente celui des valeurs et des attitudes face à la situation de confinement. La « liberté » est largement exprimée dans le sens de la « privation », de la « restriction » et des « contraintes » liées au « confinement ».

Surcharge de travail et inquiétudes

La santé et la sécurité représentent les thématiques liées du troisième champ de référence. Les agents l’évoquent avec l’emploi des termes de « protection », « danger », « risque », « sécurité », « prévention sanitaire » ou « inquiétude pour ma santé ». La thématique directement liée au travail et à l’emploi est évoquée par les termes de « télétravail », « mails », « ordinateur », « travail », « surcharge de travail », et enfin « service public ». En lien avec l’exercice de son activité professionnelle dans une dimension soudaine et dégradée, cet univers de référence reste parmi les moins évoqués dans les propositions. Le sentiment de carence, de défaut ou d’insuffisance face au confinement est évoqué par le terme de « manque », associé à ceux de « sociabilisation », de « liberté » et d’« anticipation ».

Autre constat : des symptômes de stress, de troubles du sommeil et d’isolement ont émergé chez des agents qui n’étaient pas concernés, habituellement, par ce type d’affections. La surcharge de travail, l’inquiétude pour la santé d’autrui, et les conditions de vie du confinement expliquent l’apparition de ces troubles. Par ailleurs, l’étude montre aussi plusieurs témoignages sur des relations managériales dégradées avant le confinement qui se sont intensifiées pendant cette période.

Information diffusée par les collectivités

Les informations issues de leur collectivité ont souvent pris la forme d’écrits, envoyés par mail, ou de réunions en fonction de la catégorie des agents concernés. Les témoignages se partagent entre compréhension et satisfaction de la démarche d’un côté, et critique de non pertinence et insatisfaction de l’autre. Dans certaines collectivités, de nouveaux outils de communication ont été élaborés pour entretenir et préserver une forme de lien social, aux côtés d’informations relevant des mesures de protection ou de l’actualité sanitaire. Les agents membres du CHSCT indiquent avoir eu un rôle d’information, de soutien, de conseil et de médiation. Ils ont pu répondre à distance aux questions de certains agents (télétravail, ASA, conflits avec leur hiérarchie, dégradation de la santé, vulnérabilité).

Par ailleurs, le niveau de prise en charge de la situation par les collectivités est apparu faible au départ. Le contexte précipité et incertain n’a pas facilité un message clair et un fil conducteur auprès des équipes. Au fil des semaines, chaque collectivité ou équipe de travail a employé des modalités de communication et de transmission d’information sur la situation (sanitaire et de travail) qui leur était propre (mails, newsletters, appels téléphoniques des encadrants auprès des agents, etc.). Pour faire circuler l’information, les agents mutualisaient leurs sources et références, souvent insatisfaits du manque de réactivité de leur institution.

Télétravail : un risque d’hyper-connexion

Les agents ayant eu beaucoup recours au télétravail pendant le confinement ont largement évoqué le risque d’une déstructuration du rythme de leur quotidien. L’activité professionnelle pouvait ainsi donner lieu à des formes d’hyper-connexion. C’est dans leur subjectivité propre qu’ils devaient puiser pour y faire face, ou pour s’y engouffrer totalement, au risque d’une surcharge de travail. « Cette situation de télétravail n’a pas du tout été gérable pour moi, je n’arrivais pas non plus à couper entre le boulot et le perso. Je me voyais répondre à des mails à 22h le week-end, donc des trucs complètement aberrants », témoigne ainsi une responsable de service d’une commune francilienne.

La moitié des agents en télétravail expriment un sentiment de surcharge de travail, lié à l’isolement à domicile et au bouleversement du rapport au temps qui en découlent. L’équipement numérique a pu engendrer des attitudes ambivalentes, notamment par le risque d’hyper-connexion et le sentiment de « laisse électronique » avec la sphère professionnelle.

Bienfaits du télétravail mais des modalités à revoir

Le télétravail peut aussi être jugé positivement : gain de temps sur les trajets domicile/travail, possibilité de mieux se concentrer sans être dérangé (sollicitation des collègues, de la hiérarchie, des usagers). Les agents de la filière administrative, majoritairement en télétravail, ont pu avancer sur des dossiers de fond laissés en souffrance jusque-là. Pour leur part, les cadres ont pu coordonner, organiser et piloter les activités de service public auprès des usagers (équipement de protection, achats, répartition) et le management des agents (élaboration de la continuité du plan d’activité).

De nouvelles modalités de travail ont émergé, notamment dans la pratique des secteurs social, animation et prévention, où les contacts et accompagnements ont été réalisés à distance. L’usage des réseaux numériques a servi à l’entretien de liens professionnels et sociaux à distance. Enfin, un sentiment d’injustice dans la distribution du télétravail entre les agents se dégage de bon nombre de témoignages.

Malgré les nombreuses interrogations sur le télétravail, « cette expérience précipitée a montré que c’était possible, pour les agents comme pour les cadres », souligne l’étude. Mais à la condition de repenser les dispositifs techniques. Durant le confinement, « le nomadisme technologique a permis de continuer à faire fonctionner les organisations sans délai, en faisant fi de l’espace et du temps. Cet aspect pratique ne doit pas se satisfaire à lui seul et s’accompagne d’une réflexion quant au sens de l’ancrage de ces outils dans la réalisation d’une activité professionnelle ».

Retrouver du sens et de la cohésion

Les témoignages recueillis constituent des appels à améliorer les modes et liens de travail dans les collectivités. Ils invitent, comme le souligne Cindy Felio dans sa conclusion, à « retrouver du sens et de la cohésion ». Ceux-ci apparaissent d’autant plus nécessaires dans un contexte de plus en plus incertain. Si les services publics doivent faire preuve d’adaptabilité, les agents territoriaux ont montré qu’ils savaient se mobiliser pour en assurer la continuité. « Nul doute qu’ils continueront de le faire à l’avenir ; encore faut-il qu’on leur en donne les moyens et que leur engagement soit reconnu », remarque l’étude. De même, les évolutions nécessaires dans les façons de travailler seront d’autant mieux acceptées qu’elles prendront en compte le vécu des agents.

Reconnaître les risques psychosociaux

Par ailleurs, l’étude insiste sur le besoin de reconnaissance des risques psychosociaux auxquels les agents ont été confrontés durant le confinement. La surcharge de travail, le manque de coordination, le management distanciel en souffrance, le déséquilibre vie professionnelle/vie privée, le manque d’équipement technologique professionnel, l’ambigüité des rôles et des informations, l’emprise de la subjectivité, le sentiment de solitude… « La continuité d’un plan d’activité d’une collectivité devrait prendre en compte ces éléments à la faveur d’une anticipation plus clairvoyante d’une prochaine crise sanitaire », estime ainsi Cindy Felio. Versant positif du confinement, il a pu jouer un rôle de médiateur de reconstruction du sens pour les agents : sens des priorités, centralité du travail dans la vie, écoute de son propre rythme.

Des extraits de l’étude sont disponibles en ligne. L’étude complète est disponible sur demande auprès de la MNFCT : prevention@mnfct.fr

Philippe Pottiée-Sperry

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