Les services publics s’invitent dans le débat présidentiel
Il plaide au contraire pour une modernisation reposant sur des valeurs partagées. Fort de ce postulat, le collectif ne chôme pas en ayant déjà rédigé un manifeste de 18 propositions destiné aux candidats à la présidentielle, intitulé « Quels services publics demain ? ». En espérant qu’il permette de ne pas réduire le débat au nombre de postes de fonctionnaires à supprimer !
Organisé autour de trois thèmes (égalité d’accès, exemplarité écologique et sociale, écoute démocratique des usagers et des citoyens) et issu d’échanges avec des agents publics, des chercheurs et des praticiens, il a été présenté le 28 janvier, lors d’un forum organisé à Angers, avec l’originalité d’avoir convié les représentants des principaux candidats, à l’exception de Marine Le Pen et d’Eric Zemmour, une décision prise à l’unanimité du collectif.
Perte de sens croissante
Pour le think tank, il y a urgence à s’emparer de ce débat face à une perte de sens croissante chez les agents publics. Il rappelle ici l’enquête menée par le Collectif Nos Services Publics, et publiée en septembre août 2021 (plus de 3000 agents publics répondants), selon laquelle pas moins de 80 % des répondants ont été confrontés au « sentiment d’absurdité » dans l’exercice de leur travail. Dans ce contexte, la plateforme se définit comme « une contribution vivante et discutable », en proposant des axes concrets d’action.
Egalité d’accès au service public
Pour le collectif, l’égalité d’accès au service public constitue un principe fondamental à garantir. « Aujourd’hui, il existe une inégalité d’accès qui est territoriale et digitale », regrette Johan Theuret, membre du collectif et DGA Ressources de la ville et la métropole de Rennes. La première proposition est un « gel des fermetures » de services publics avant un diagnostic partagé de leurs impacts. « Cette mesure aurait un vrai impact politique et un effet positif pour mobiliser tous les acteurs », estime Laure de la Bretèche, membre du collectif et ancienne secrétaire générale à la modernisation de l’action publique. Constatant des processus de fermeture effectués dans une logique de « rationalisation », en silo sans vision d'ensemble, Sens du service public suggère une concertation avec les bénéficiaires sur l'évolution des horaires, des jours d’ouverture ou des services proposés.
Une autre proposition plaide pour aller davantage vers les usagers. Sévère sur le programme France Services, « bien mal outillées pour répondre aux situations difficiles de beaucoup d’usagers et aux implantations non concertées avec les bénéficiaires » qui « ne répond qu’imparfaitement aux besoins », le think tank propose du transport à la demande organisé pour se rendre dans un service public ou des bus itinérants pour aider à effectuer des démarches administratives. Selon un petit sondage réalisé par le collectif sur LinkedIn, la proposition sur des guichets et services itinérants arrive loin en tête (53% des réponses), loin devant le gel de fermeture (20%).
Lutter contre le non-recours aux droits
Rappelant que 13 millions de Français sont en situation d’illectronisme (source Insee), il défend une digitalisation des services publics, qui bien que jugée nécessaire, doit privilégier l'égalité d'accès et la lutte contre le non-recours aux droits (médiation numérique, analyse préalable d’impact…). La conception des outils des services publics devrait tenir compte du caractère spécifique des démarches administratives, des situations complexes et de leur caractère anxiogène pour certains usagers. De plus, les interfaces et plateformes numériques nécessiteraient être coconstruites avec les bénéficiaires les plus éloignés du numérique. En direction de ces publics, le think tank plaide pour remettre de l’humain dans une logique de guichet, et cela en renforçant les formations et les médiations de proximité. Le digital ne pouvant pas constituer l’unique réponse, il faut le maintien systématique d’une présence humaine dans les guichets d'accueil, sur le terrain et au téléphone. Cela passerait notamment par la revalorisation des métiers au contact du public, « dont les missions sont essentielles au lien social ».
Etre écologiquement et socialement exemplaire
Le deuxième axe de la plateforme vise une administration écologiquement et socialement exemplaire. La diminution de son empreinte carbone passerait par des « pools de véhicules propres en libre-service incluant des vélos », le renforcement des obligations de réduction des consommations énergétiques des bâtiments publics, l’obligation de plans de mobilité et d’un forfait mobilité durable ou encore le recours accru aux équipements numériques reconditionnés (ordinateurs, téléphones…).
Le collectif veut aussi s’appuyer sur le levier important de la commande publique (110 Md€ en 2020) en intégrant systématiquement des critères environnementaux et sociaux dans les marchés publics. « Cela permettra de diminuer l’empreinte carbone de l’administration, mais également d’influencer de larges secteurs économiques et de soutenir des entreprises, secteurs et innovations pour le long terme », estime Sens du service public.
Meilleures conditions de travail
L’exemplarité passerait aussi par de meilleures conditions de travail pour les agents publics (santé, prévention des risques professionnels…). S’y ajouterait la réduction de la précarité dans l’emploi en pénalisant les employeurs publics qui abusent des emplois courts. La création d’un bonus/malus, selon la proportion de contrats courts/précaires sur emplois permanents, permettrait de lutter contre le recours abusif aux « faux-vacataires », qui effectuent des missions essentielles et pérennes au service public, sans bénéficier de droits sociaux sécurisés ni de perspectives de carrière, estime le collectif. Une autre proposition concerne une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap, en jugeant « dépassée » la logique de quota minimum et en préférant une attention portée aux parcours et à l’accompagnement des carrières.
Concertation et co-construction
Selon Sens du service public, les Français aspirent à « une administration plus humble, à l'écoute des usagers et des citoyens ». Pour un changement de posture du service public, il défend un chantier de simplification du langage et des modes de communication parfois bien loin des usagers car « trop juridique, trop normé et peu empathique ». La solution passerait par un langage « facile à lire et à comprendre » à systématiser dans toutes les communications. Il faut aussi revoir la posture et la manière dont les services publics s’adressent aux citoyens. « De nombreux témoignages nous rappellent une relation parfois brutale, des formulations ressenties comme des humiliations, à l’origine de souffrance et génératrices de non-recours aux droits », reconnaît le manifeste.
Plaidant pour « faire de la participation citoyenne un socle de la décision publique », Sens du service public propose de généraliser les démarches d’association de type jurys ou encore ateliers citoyens pour élaborer et réajuster les politiques publiques pour qu’elles soient plus compréhensibles. Cela nécessiterait aussi de mieux former les agents publics aux pratiques de participation citoyenne et de mutualiser les savoirs faire.
Relancer l’ascenseur social
Pour faire entrer la société civile dans le service public, il est suggéré de plus s’appuyer sur des réseaux de bénévoles et d’associations, d’associer les représentants des agents et des usagers dans les instances de gouvernance ou encore de mettre en place de nouveaux lieux de co-élaboration de l’action publique sur les territoires, facilement identifiés et accessibles, de type fab lab. Enfin, sans remettre en cause le statut, « garant de l’intérêt général », les fonctions publiques devraient mieux refléter la diversité du pays, relancer l’ascenseur social, être attractives pour de nouveaux profils et laisser de véritables espaces de concertation et de propositions aux agents publics. « Il faut mieux prendre en compte la diversité dans la fonction publique et renouer avec la promesse d’ascenseur social », estime ainsi Matthieu Girier, membre du collectif et DRH du CHU de Bordeaux.
Donner plus de moyens
Parmi les représentants des candidats, Olivia Fortin, soutien de Christiane Taubira et adjointe au maire de Marseille, regrette que « le sujet du service public soit trop peu présent dans le débat présidentiel alors qu’il s’agit d’un bien commun de notre société comme l’a montré la crise sanitaire ». Affirmant partager toutes les propositions du manifeste, elle juge nécessaire de disposer de plus de moyens pour cela. Même constat de la part de Clémentine Autain, soutien de Jean-Luc Mélenchon et députée LFI de Seine-Saint-Denis, qui insiste « pour investir dans les services publics, outils indispensables de la transition écologique et de l'égalité ». Cela doit notamment passer, selon elle, par la revalorisation des salaires des agents publics. Elle plaide aussi pour « redonner du sens », notamment face à la baisse importante du nombre de candidats au concours de la fonction publique. Pour sa part, Stéphane Piednoir, soutien de Valérie Pécresse et sénateur LR de Maine-et-Loire, reconnaît que « le principe d’égalité du service public s’étiole aujourd’hui » en citant notamment les exemples de l’école et des déserts médicaux.
S’appuyer sur les secrétaires de mairie
Guillaume Garot, soutien d’Anne Hidalgo et député PS de la Mayenne, plaide aussi pour plus de moyens tout d’abord humains en s’alarmant d’un « affaiblissement des services publics dans beaucoup de départements ». Il propose notamment de s’appuyer « sur le maillage très fin des secrétaires de mairie en leur confiant d’être le premier recours pour la population ». Mais pour cela, « l’Etat ne doit pas se décharger sur les communes », prévient-il, en chiffrant la mesure à 1 Md€ par an. Il propose aussi de lancer des états généraux du service public qui traiteraient de tous les sujets, notamment les salaires, et se tiendraient aussi dans les territoires.
Défense du quinquennat Macron
Défendant le bilan du quinquennat actuel, et notamment l’implantation de 2000 structures France services, Thomas Cazenave, soutien de LREM (et donc du candidat Emmanuel Macron) et haut fonctionnaire, juge le tableau dressé sur le service public « trop sévère ». Et d’affirmer : « De 2007 à 2017, les gouvernements successifs n’ont cessé de retirer des forces au service public. C’est Emmanuel Macron qui a stoppé cette politique de l’austérité et des coupes budgétaires ». L’élu bordelais plaide pour un changement de management au sein du service public : « la perte de sens, c’est aussi un management interne obsolète, des procédures pesantes. Le monde a changé, les jeunes ont changé. L’Etat doit s’ouvrir et travailler différemment ». De plus, selon lui, « l’attractivité de la fonction publique ce n’est pas que la rémunération, c’est aussi la simplification des normes, la décentralisation et le management par la confiance ».
Philippe Pottiée-Sperry
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