Rapport Thiriez : réactions critiques du SNDGCT et de l’AITF

Philippe Pottiée-Sperry
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Suite à la remise du rapport Thiriez le 18 février sur la réforme de la haute fonction publique, les représentants des territoriaux continuent de réagir. D’autant que le Premier ministre a annoncé, dans la foulée de la remise du rapport, une réforme dont la conduite est confiée au secrétaire d’Etat Olivier Dussopt pour la présentation d’un plan fin avril. Un calendrier qui devrait être reporté compte tenu de la crise sanitaire actuelle du coronavirus.

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Bien que jugeant certaines propositions du rapport Thiriez « intéressantes », le président du Syndicat national des DG des collectivités territoriales (SNDGCT), Stéphane Pintre ne le considère cependant « pas de nature à donner un nouveau souffle à la haute fonction publique, ni à réellement valoriser la haute fonction publique territoriale ».

Le SNDGCT plaide pour préserver la diversité des missions et des employeurs. Selon lui, « les administrateurs territoriaux ressemblent déjà à la société au sein de laquelle ils œuvrent. Il n’existe pas de moule unique de pensée au sein de la FPT ». Il défend aussi la diversité des profils grâce à la voie d’accès par examen professionnel qui reconnaît la compétence acquise et pas simplement un parcours de formation.

Le rapport Thiriez souhaite développer cette diversité d’accès aux écoles du service public, et promouvoir l’égalité des chances avec des moyens affectés. Réaction ici positive du syndicat, estimant que « cette orientation enrichira la haute fonction publique ». Il juge intéressante la voie proposée d’un tronc commun à l’ensemble des écoles, puis un cycle de formation continue au sein d’un institut des hautes études ouvert aux trois versants, après dix années d’exercice.

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Maintien des spécificités de l’Inet

A l’instar des autres associations professionnelles de territoriaux, le SNDGCT plaide pour conserver les spécificités de l’Institut national des études territoriales (Inet) « liées à la FPT, par essence très différentes des attentes de la haute fonction publique de l’État ». Et d’ajouter : « L’Inet est un modèle d’école qui mêle déjà et réellement les métiers ». Suite au rapport Thiriez, le SNDGCT craint la mise à mal de cette diversité « en séparant l’Inet du CNFPT et en laissant planer le doute sur sa gouvernance future ».

Autres inquiétudes formulées : appliquer le moule de gestion de l’État aux administrateurs territoriaux ou fusionner le cadre d’emploi des administrateurs avec celui des ingénieurs en chef. « Cette fusion, qui nie les spécificités à la fois des filières de formation d’origine et les besoins des collectivités, doit-elle se comprendre au travers d’une volonté de l’État de prendre la main sur la formation et le placement des ingénieurs de l’État ? », s’interroge le SNDGCT.

Crainte d’un « spoil système » généralisé

Autre crainte : laisser de côté la filière culturelle déjà formée au sein de l’Inet. « La préconisation de créer un centre national de gestion mutualisant les risques, porte même le germe d’un « spoil système » généralisé, qui va à l’encontre de toutes les garanties d’indépendance existantes », dénonce le SNDGCT.

Et de conclure : « Tant que l’État n’assurera pas de réelle passerelle, une transposition des dispositifs mis en œuvre au seul profit des hauts fonctionnaires de l’État, les spécificités de la FPT ne seront pas reconnues. L’État aurait tout à gagner à s’inspirer du modèle territorial davantage fondé sur la construction de parcours diversifiés, sur la recherche de compétences adaptées sans « parcours garanti », et sur la responsabilité individuelle des cadres acteurs de leur carrière ».

L’AITF refuse la fusion du cadre d’emplois

Comme le SNDGCT, Emmanuelle Lointier, présidente de l’Association des ingénieurs territoriaux de France (AITF), dénonce la proposition du rapport Thiriez qui envisage la fusion du cadre d’emplois des ingénieurs en chefs avec celui des administrateurs territoriaux. « Une proposition ne reposant sur aucune étude », fustige-t-elle, en regrettant que l’AITF n’ait pas été consultée pour « exprimer l’importance du rôle et des missions des ingénieurs en chef dans la mise en œuvre des politiques publiques territoriales ».

Le rapport semble ignorer, selon l’AITF, « que le seul cadre d’emplois des ingénieurs en chef regroupe 6000 experts techniques managériaux de toutes spécialités ». Et de critiquer l’absence d’éléments dans le rapport sur le parcours des ingénieurs en chef, leur concours, leur formation, la richesse de leur diversité nécessaire à la mise en place des politiques stratégiques auprès des élus locaux pour l’aménagement de leurs territoires. L’AITF tient aussi à souligner qu’aucun élu ne demande une telle fusion.

« Le monde complexe dans lequel nous vivons nécessite de la rationalité et la présence d’experts à fortes cultures scientifiques et techniques pour éclairer la préparation des décisions de nos élus et gouvernants », insiste Emmanuelle Lointier. Et d’ajouter : « Les corps scientifiques et techniques de haut niveau sont indispensables à l’expertise publique, au management des corps techniques. Ils doivent être identifiés, promus et développés pour servir (et protéger) nos concitoyens et conseiller la pertinence des décisions de nos édiles ».

Demande du maintien d'une filière technique

Tout en se disant favorable aux évolutions nécessaires de la fonction publique, l’AITF plaide pour le maintien des filières, même pour le haut encadrement. Argument avancé : « On ne peut pas avoir une vision stratégique si on n'est pas expert dans les domaines techniques en particulier au regard des enjeux environnementaux, écologiques et climatiques ».

L’association réclame également une diversité de recrutement scientifique et technique supérieur avec des parcours et des compétences différentes. « Le maintien d'une filière technique permet des recrutements adaptés et ciblés, c'est-à-dire issus de parcours scientifiques et techniques, et des grilles indiciaires compétitives au regard de celles pratiquées dans le privé. Les besoins en ingénierie sont loin d’être assurés ». Et de rappeler que cette ingénierie fait souvent défaut dans les petites collectivités du fait du désengagement de l'Etat.

« Plus de parité et plus de diversité »

Sévère, l’AITF s’interroge sur une éventuelle volonté de l’Etat, dans le cadre de la réforme, de confier la responsabilité des choix scientifiques et technologiques majeurs aux grands groupes privés. « Quid du contrôle alors à l’avenir de ces prestataires privés, si les élus ne sont pas conseillés, accompagnés et secondés par des experts ingénieurs de haut niveau, garant du service public et de l’action collective au bénéfice des habitants et des territoires ».

Pour lutter contre l’élitisme de certaines grandes écoles publiques, la construction d’un système unifié ne constitue pas la bonne solution pour l’AITF qui y voit « à terme un risque de culture de la pensée unique encore plus clanique ». Se voulant pragmatique, elle propose de faire évoluer le système public et la formation continue des cadres dirigeants « en imposant simplement plus de parité et de diversité ».

Philippe Pottiée-Sperry

Philippe Pottiée-Sperry
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