Rendez-vous mitigé entre Emmanuel Macron et les départements

Philippe Pottiée-Sperry
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Dans le cadre du grand débat national, et après plusieurs rencontres en région avec des maires, Emmanuel Macron a reçu à l’Elysée, le 21 février, la quasi-totalité des présidents de conseils départementaux, en présence d’Edouard Philippe et de 14 ministres.

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Une rencontre une nouvelle fois marathon de près de six heures qui a abordé de très nombreux sujets : décentralisation, social, financement des allocations individuelles de solidarité (RSA, APA, PCH), réforme de la fiscalité locale, limitation de vitesse à 80 km/h, déploiement du numérique dans les territoires, déserts médicaux... Les présidents de département ont pu poser une cinquantaine de questions.

« On nous écoute mais on ne nous entend pas »

Sentiment général : l’invitation a été appréciée. Yves Auvinet, président de la Vendée, a ainsi salué, dans les colonnes de Ouest-France, « la qualité du dialogue et l’écoute dont a fait preuve le président de la République ». Selon lui, « ce rendez-vous a permis aux départements d’exprimer les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien, tout particulièrement celles liées au désengagement de l’État, comme sur la hausse des charges non compensées (allocations individuelles de solidarité, prise en charge des mineurs non accompagnés…) ». Pour sa part, Dominique Bussereau, président de la Charente-Maritime et de l’ADF (Assemblée des départements de France), reconnaît « un long dialogue cordial avec le Président » tout en regrettant « un final déconcertant car nous avons ressenti peu d’appétence pour une vraie décentralisation ». Dans le même esprit, Jean Deguerry, président de la Mayenne, a estimé dans un tweet : « on nous écoute mais on ne nous entend pas. Le président de la République a fait une leçon de morale, il n'est pas à l'écoute de nos préoccupations ». Sur la même ligne, Marc Gaudet, président du département du Loiret, a évoqué un sentiment mitigé : « Sur la forme, cette rencontre était une bonne chose, mais sur le fond je reste sceptique ». « Nous nous sommes sentis écoutés. Nous avons également eu l’impression que les départements étaient défendus par ce gouvernement, indique-t-il. Mais nous n’avons pas eu les réponses que nous attendions. Le président et le Premier ministre sont restés plutôt inflexibles sur certaines positions ».

Une « nouvelle phase » de décentralisation

Emmanuel Macron s'est dit prêt à discuter d'une « nouvelle phase » de la décentralisation, reconnaissant que cette demande apparaît fortement dans le grand débat. Mais il a averti que « cela conduira à des choix profonds ». Le chef de l’Etat a souhaité face à ce nouvel élan de décentralisation mettre les départements face à leurs responsabilités. « Nous avons l’habitude de les assumer et nous proposerons, en effet, dans le cadre de Territoires Unis, avec nos alliés de l’AMF et de Régions de France, des propositions concrètes de décentralisation », a indiqué l’ADF. Son président a indiqué que ces propositions seraient présentées avant le 15 ans.

Adaptation de la loi NOTRe

Dominique Bussereau, comme beaucoup de ses collègues, a réclamé une nouvelle fois une révision de la loi NOTRe. Emmanuel Macron a reconnu que cette loi avait « créée de nombreux dégâts collatéraux et qu'il convenait maintenant de les réparer ». L’ADF plaide ainsi pour « une adaptation de la loi NOTRe qui permettra aux départements une plus grande souplesse dans leurs actions quotidiennes au service de leurs territoires et de leurs habitants ».Certains présidents de département ont également demandé le « retour de la clause de compétence générale » pour leur collectivité. Ils ont souvent regretté de ne plus pouvoir intervenir en matière de développement économique depuis la loi NOTRe. Le président du conseil départemental de la Vendée a regretté, dans un entretien à Ouest France, qu’Emmanuel Macron « ne soit manifestement pas décidé à mettre fin au jacobinisme et à tourner la France vers la modernité, en laissant les territoires s’organiser librement avec la nécessaire autonomie financière qui doit leur être garantie. » Et Yves Auvinet d’ajouter : « je reste convaincu que seule cette politique [de décentralisation] permettra de retisser le lien entre les Français et leurs élus. La crise des gilets jaunes nous démontre combien c’est indispensable. »

Réforme de la fiscalité locale

Dans le cadre de la réforme de la fiscalité locale, avec la disparition de la taxe d'habitation, tous les départements refusent l’option du transfert de la taxe sur le foncier bâti vers les communes, au nom de leur autonomie fiscale. Sur ce sujet, Territoires Unis fera également des propositions au gouvernement d’ici le mois de juin. Selon l’ADF, les présidents de département « ont clairement exprimé au président de la République qu’il serait ni acceptable, ni soutenable de les priver de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Cela remettrait en cause l’autonomie des départements. Autonomie de gestion ayant déjà été largement impactée par la contractualisation dont ils ont à nouveau dénoncé et demandé l’abandon ».De nombreux présidents de département ont plaidé pour une réforme fiscale en profondeur. « Il s'agirait d'instaurer un impôt unique et spécialisé par collectivité, le contribuable y gagnerait en transparence et en lisibilité et ce serait plus responsabilisant pour l'élu », déclare ainsi Jean-Yves Gouttebel, président du conseil départemental du Puy-de-Dôme, au journal La Montagne.

Une contribution du Loiret

Présent à l’Elysée le 21 février comme ses collègues, Marc Gaudet, président du Loiret, avait également envoyé la veille un courrier à Emmanuel Macron qui se veut sa propre contribution au grand débat. Parmi différentes propositions, il estime que « le département pourrait tout à fait gérer les crédits d’Etat, tels que le produit des amendes de police et la redevance des mines, ainsi que la DETR et le FSIL au nom de l’Etat, comme les régions gèrent aujourd’hui les crédits européens ». En matière sociale, il défend l’idée de créer un dossier social unique (carte vitale enrichie). Selon Marc Gaudet, cela faciliterait « un partage d’informations permettant d’assurer la cohérence du parcours de l’usager, et d’autre part d’éviter les redondances de saisies des mêmes informations ou documents ». Et d’indiquer que le département du Loiret est prêt à assurer, sur ce sujet, une expérimentation avec les différents partenaires concernés.
Philippe Pottiée-Sperry
Philippe Pottiée-Sperry
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