Le ZAN au centre des inquiétudes des élus locaux
Parallèlement aux finances et à l’explosion des prix de l’énergie, le zéro artificialisation nette (ZAN) figure parmi les premières inquiétudes des élus locaux. Au-delà des objectifs très ambitieux de cette disposition de la loi « Climat », avec pour eux des effets en cascade, ils reprochent aux conférences des Scot et aux régions de les tenir à l’écart.
C’est le sujet qui ne cesse de monter dans le thermomètre des inquiétudes des élus locaux. Le fameux zéro artificialisation nette (ZAN), fixé à l’horizon 2050 par la loi « Climat » du 22 août 2021, se traduira par une réduction par deux d’ici dix ans du rythme de consommation d’espace. L’inquiétude, teintée d’une certaine colère, a franchi un pas supplémentaire avec la publication fin avril de deux décrets d’application sur le ZAN : nomenclature des sols à utiliser pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d'urbanisme, objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols devant être contenus dans les Sraddet (schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires).
Critiques du CNEN
Sur ce sujet, Alain Lambert, le président du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), a critiqué la « précipitation » du ministère de la Transition écologique pour prendre le décret « nomenclature » dont « l’urgence est motivée de manière plus que contradictoire ». L’ancien ministre du Budget et ancien maire d’Alençon met en doute l’opérationnalité de la nomenclature, sachant que les collectivités locales « ignorent les données du fichier foncier et notamment la nouvelle génération de données vectorielles sur le cadastre qui permettent d’analyser le processus d’artificialisation à l’échelle de l’unité spatiale de décision, c’est-à-dire la parcelle ou le lot de parcelles, permettant ainsi l’analyse des interactions avec les zonages ».
Sur son site, le président du CNEN pointe dans une tribune « un nouveau transfert rampant de pouvoir auquel les décrets "artificialisation des sols" conduisent, sans que personne ne semble en mesurer réellement ni la portée ni les conséquences ». Il y voit même des « instruments susceptibles de figer, d’immobiliser l’évolution des départements ruraux et de nos territoires faiblement peuplés, et d’emboliser les unités urbaines ».
Des changements en cascade
Pour rappel, la protection des sols et la réduction de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers constituent une des priorités de la loi « Climat ». Conséquence pour les collectivités : une meilleure prise en compte des conséquences environnementales des actions de construction et d’aménagement – l’artificialisation des sols – sans pour autant négliger les besoins des territoires en matière d’implantations d’entreprises, d’habitat ou d’infrastructures.
Tout cela signifie des changements en cascade avec la modification des documents d’urbanisme communaux et intercommunaux mais aussi le lancement de la révision des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet).
« Mise en place brutale de l’objectif ZAN »
L'inquiétude forte des élus s’est une nouvelle fois manifestée lors d’une réunion d'échanges entre les présidents d'association départementale de maires, justement sur le sujet du ZAN et des conférences des Scot, organisée par l’AMF le 23 mai. Après cette réunion, Constance de Pélichy, maire de La Ferté-Saint-Aubin (45) et co-présidente de la commission Aménagement, urbanisme, habitat et logement de l’AMF, évoque dans un entretien vidéo réalisé par l’AMF « des objectifs très angoissants pour les maires ».
Bien que jugeant légitime l’existence d’une loi de régulation foncière, compte tenu des enjeux essentiels d’environnement et de biodiversité, elle constate les nombreuses remontées d’élus sur leurs fortes inquiétudes concernant « la mise en place brutale de l’objectif ZAN ». Beaucoup d’entre eux déplorent l’absence de retour des conférences des Scot (schémas de cohérence territoriale) sur la manière dont cet objectif sera territorialisé.
Manque d’écoute et de travail collaboratif
Autre grief exprimé : « le manque d’écoute et de travail collaboratif de la part des régions sur les conférences des Scot ». Concrètement, il est reproché à ces conférences « de négocier avec les régions sans avoir préalablement réuni les territoires qui composent les Scot », pointe Constance de Pélichy. De même, lorsque ces conférences se sont tenues, les présidents de Scot ne font pas assez de retours aux élus. Selon la maire de La Ferté-Saint-Aubin, « les présidents de Scot doivent absolument réunir les maires afin que les élus de chaque territoire puissent se mettre d’accord sur le message que devra porter le président lors de la conférence ». Il sera intéressant de voir leur réponse lors des prochaines rencontres des Scot, qui se tiennent les 16 et 17 juin à Besançon, avec justement le ZAN au cœur de leurs débats.
A cela s’ajoute une inquiétude sur l’équilibre urbain-rural avec la crainte des maires d’« une très forte représentation des pôles urbains qui pourraient capter l’essentiel des terrains pouvant être consommés dans les années à venir au détriment des communes rurales qui souhaitent elles aussi pouvoir continuer à se développer sinon c’est leur mort annoncée », souligne Constance de Pélichy.
Dernier élément d’alerte : les communes ayant fait preuve de sobriété foncière ces dernières années ont peur d’être doublement pénalisées en ayant encore moins à consommer sachant que le référentiel se fixe sur les dix dernières années.
Le Sénat consulte les élus locaux
Face aux inquiétudes des élus locaux sur les difficultés d’application de l’objectif du ZAN, le Sénat a lancé, le 19 mai, auprès d’eux une consultation en ligne. Evoquant des décrets d’application qui remettent en cause les équilibres de la loi, des consignes variables des services de l’État ou encore l’insuffisance des outils de mesure de l’artificialisation, le Sénat appelle à « une réponse rapide et constructive de l’État et, peut-être, du législateur, pour s’assurer de l’accompagnement des collectivités par les services de l’État et la bonne prise en compte des difficultés de chaque territoire ».
Pilotée par la sénatrice LR Sophie Primas, présidente de la commission des Affaires économiques, la consultation, ouverte jusqu’au 27 juin, veut recueillir un grand nombre de témoignages concrets. De l’évolution des documents d’urbanisme à l’impact sur les permis de construire, en passant par les moyens à la disposition des élus pour valoriser les friches ou « désartificialiser » les sols, le questionnaire balaye large. La démarche pourrait déboucher sur une proposition de loi visant à mieux articuler « le déploiement d’une politique de sobriété foncière ambitieuse et concertée sur l’ensemble du territoire ».