Le grand oral des candidats sur les territoires
Les associations membres de Territoires unis (AMF, Régions de France et ADF) ont organisé, le 15 mars à Montrouge (92), l’audition des candidats à la présidentielle sur le thème des libertés locales. Elle se déroulait devant des élus locaux qui ont pu poser leurs questions (10 mn de présentation de chaque candidat et 20 mn de questions-réponses).
Dix des douze candidats à l'élection présidentielle avaient fait le déplacement, le 15 mars, pour le grand oral organisé par Territoires unis, Eric Zemmour et Emmanuel Macron n’étant pas présents. Pour ce dernier, André Laignel, premier vice-président délégué de l’AMF, a dénoncé « un comportement pas très républicain ». Toujours très sévère, il fustige un quinquennat « calamiteux » concernant la décentralisation et les libertés locales.
La déclaration commune de Territoires unis prône notamment une « subsidiarité ascendante ». Les trois associations plaident pour « un changement complet de paradigme dans notre République » avec l’attribution du pouvoir de décision publique au niveau des collectivités locales avec juste pour l’Etat la gestion des « compétences régaliennes ». Chaque association a également formulé ses propres propositions : AMF, ADF (Assemblée des départements de France) et Régions de France.
Demande d’une nouvelle étape de décentralisation
Territoires unis appellent à « engager une nouvelle étape de décentralisation », a insisté David Lisnard, le président de l’AMF, en introduction de la journée. Dénonçant également « l'inflation normative » et « l'asphyxie financière » qui pèsent sur les collectivités, il juge que « la démocratie est mise à mal depuis des années par la conjonction du conformisme technocratique, centralisateur, et de la démagogie racoleuse des extrémistes ». « Il faut privilégier l’intelligence des territoires », ajoute André Laignel, selon lequel « il faut voter une grande loi de libertés locales qui privilégiera la responsabilité, la subsidiarité, l’autonomie et un mot devenu rare dans le dictionnaire de l’Etat : la confiance ».
« Un exercice qui a fait honneur à la démocratie »
« On ne gagnera pas la bataille de France face aux nombreux défis qui sont devant nous, sans retrouver le chemin de la confiance, estime également François Sauvadet, le président de l’ADF. L'État ne pourra pas tout, tout seul ». « Avec Territoires unis, nous sommes convaincus que la réussite de la France passe par une décentralisation plus efficace », lance quant à elle Carole Delga, présidente de Régions de France, qui appelle à l’organisation d’« États généraux des libertés locales et de la confiance dans l'action publique ».
Tout en envoyant quelques pics à l’encontre des deux candidats absents, l’AMF salue « la qualité des échanges directs entre les élus et les candidats », ces derniers ayant, selon elle, « quasi unanimement souligné la nécessité de garantir davantage de libertés locales ». De plus, elle se réjouit d’un « exercice [qui] a fait honneur à la démocratie, permettant de parler de décentralisation, d’organisation des pouvoirs publics, d’efficacité de l’appareil d’Etat mais aussi de la lutte contre la pauvreté, de transition énergétique, des déserts médicaux, de solidarité, d’Europe, et de la situation en Ukraine ».
Eloge unanime des communes
« Small is beautiful ». Tel a été le message défendu par quasiment tous les candidats en faisant la promotion des communes et, en particulier, de celles des territoires ruraux. Ils dénoncent également les grandes structures comme les régions, les intercommunalités et encore plus les métropoles. Avec un lyrisme toujours bien particulier, Jean Lasalle (Résistons !) tient à saluer « les 35 000 sentinelles de France » qui occupent « une place particulière dans le cœur de nos compatriotes ». Saluant aussi les communes et leurs maires, Fabien Roussel (PCF) affirme que « la démocratie ne peut pas se faire sans la commune. Elle est la cheville ouvrière de la République ». Et d’ajouter : « Nous voulons redonner tout son rôle, tous ses moyens et toute sa place à la commune ». En contrepoint, son discours dénonce « la création de grands monstres » et plaide pour « démétropoliser la France » comme Marine Le Pen (RN). S’affirmant « profondément attachée au modèle localiste », elle défend une « politique de rééquilibrage des territoires ». Pour Jean-Luc Mélenchon (LFI), « la commune est la réalité démocratique fondamentale de la nation française ». Même Nathalie Arthaud (LO) défend les maires et les petites communes alors que l’autre candidat trotskiste, Philippe Poutou (NPA), dénonce des institutions locales « peu démocratiques », en pointant surtout les grandes villes, et propose la mise en place de « structures de démocratie directe » afin de « faire confiance à la population et aux habitants ».
Mettre fin à « la course au gigantisme »
Pour sa part, le candidat communiste souhaite inscrire dans la Constitution la clause de compétence générale des communes et la réinstaurer pour les départements et les régions. Et de s’interroger : « Comment a-t-on pu enlever cette possibilité pour les collectivités de pouvoir administrer comme elles le souhaitent ? ». Plaidant pour « aider les communes qui sont asphyxiées », Nicolas Dupont-Aignan (DLF) appelle à mettre fin à « la bureaucratie rampante et à la course au gigantisme. Il faut redonner du pouvoir aux maires et libérer les communes ».
La plupart des candidats affirment vouloir soutenir davantage les territoires ruraux. A cette fin, Valérie Pécresse promet que « quand il y a aura 1 € dépensé pour la politique de la ville, il y aura 1 € dépensé pour les territoires ruraux ». Et de citer notamment l’aménagement numérique du territoire avec la fibre ou la non-fermeture de classes d'écoles.
Des régions bien mal vues
Fabien Roussel plaide pour « le retour de régions à taille humaine ». Jean Lassalle défend lui carrément leur suppression – « les régions telles qu'elles sont aujourd'hui sont parfaitement inutiles » – en défendant la création de nouvelles provinces mais sans en dire plus. Le verdict de Jean-Luc Mélenchon est sévère en parlant de « régions peu performantes » avec de surcroit « une légitimité plus qu'incertaine ». S’affichant de « tradition jacobine » - « et je le reste ! » -, il dénonce le risque d’une « addition de Länder » qui pourrait, à terme, conduire au « démembrement de la nation ».
Sur la même ligne, Nicolas Dupont-Aignan considère les régions inutiles et plaide pour redéployer leurs agents entre l’Etat et les autres collectivités. Au-delà, le candidat critique la décentralisation qui, selon lui, « a dérapé » : « empilement des structures », « retour des féodalités locales », « sentiment de dépossession »… Et de plaider pour « repenser la décentralisation en la démocratisant et en la simplifiant » mais aussi pour « reconstruire l’Etat et engager une vraie politique d’aménagement du territoire » qui passerait notamment par l’abrogation de la loi « Notre » et l’arrêt des « intercommunalités forcées ».
Lois « Maptam » et « Notre » fustigées
A ce propos, la loi « Notre » comme la loi « Maptam » sont souvent fustigées par les candidats. Jean Lassalle affirme simplement qu’elles sont « à dégager ! »... Jean-Luc Mélenchon parle lui de son « horreur » de la loi « Notre ». Concernant la dernière loi « 3DS », Marine Le Pen juge qu’elle « pose problème » car « ses mesures en matière de différenciation territoriale et de compétences à la carte présentent un risque de violation du principe d'égalité ». Par ailleurs, la candidate RN écarte l’idée d’« une énième loi de réforme complète des collectivités », défendant néanmoins un rapprochement entre régions et départements avec l’idée de réinstaurer le conseiller territorial, créé en 2010 puis supprimé par François Hollande. Une proposition partagée avec Emmanuel Macron qui l’a également cité, lors de la présentation de son programme le 17 mars. A noter par ailleurs un « mea culpa » de Marine Le Pen sur l’interdiction du cumul des mandats qu’elle avait soutenu au moment de son adoption mais qu’elle souhaite aujourd’hui remettre en cause en autorisant le cumul entre le mandat de parlementaire et celui de maire « au moins pour les communes de moins de 20 000 à 30 000 habitants ».
Un échelon pour « corriger les inégalités territoriales »
Seules avocates des régions : Anne Hidalgo (PS) et Valérie Pécresse (LR). La maire de Paris défend ainsi « un espace territorial essentiel », à renforcer notamment en matière de formation et d'orientation, et estime que « les présidents de région sont un peu les ministres de l'Economie de notre pays ». De même, la patronne de la région Ile-de-France estime que cet échelon de collectivité, contrairement à l'État, est le seul capable de « corriger les inégalités territoriales ». Voulant « mettre en place le projet de décentralisation le plus puissant de l'histoire de notre pays », elle propose de doter les régions d'un pouvoir réglementaire et de compétences renforcées (environnement, mobilités, pilotage de Pôle emploi, attractivité économique, lycées professionnels, fonds européens…) notamment en étant désignées chefs de file. Anne Hidalgo défend également plus de décentralisation en indiquant que dans son projet « la place des élus locaux est déterminante ».
Des élus locaux « dénigrés »
Par ailleurs, la maire de Paris tire à boulets rouges sur le quinquennat sortant : « nous sortons de ces cinq années avec une interprétation de la centralisation tellement excessive que notre pays été très largement entravé dans la créativité qui est la sienne ». De plus, elle considère que les élus locaux ont été « dénigrés » avec un exécutif faisant appel à eux uniquement quand il est « acculé » comme durant la crise des gilets jaunes et la crise sanitaire. Yannick Jadot (EELV) veut également « repenser la décentralisation » en accordant « de véritables compétences » aux collectivités.
Moins évoqué par les candidats, l’échelon départemental s’en sort beaucoup mieux que la région. Plus personne ne propose leur suppression. Valérie Pécresse propose même de lui transférer tout le médico-social, la médecine scolaire, les services des CAF liés aux versements du RSA…
Promesse d’une autonomie fiscale des collectivités
Côté finances, quasiment tous les candidats promettent l’autonomie fiscale des collectivités. Selon Valérie Pécresse, « l'autonomie financière doit être garantie par la Constitution ». Elle s’engage aussi à « la fin des contrats de Cahors » (limitation des dépenses de fonctionnement des grandes collectivités). De plus, elle souhaite organiser, dès le début du quinquennat, une conférence des territoires pour définir le financement des compétences transférées par l’État aux collectivités. « Tout peut être négocié et négociable », estime-t-elle. Pour sa part, Fabien Roussel propose de « rendre en 15 ans les 15 Md€ pris aux collectivités sous le mandat Hollande ». Il défend également la mise en place d’un pacte financier en début de la législature et dénonce l'ampleur des moyens accordés aux métropoles. Pour sa part, Nathalie Arthaud dénonce la baisse des marges financières des collectivités et critique « les politiques successives de François Baroin, François Hollande et Emmanuel Macron ». S’agissant du président sortant, elle estime qu’il « a engagé pour plaire au Medef la diminution des impôts économiques locaux ». Fidèle à son discours, la candidate trotskiste défend aussi « un contrôle des travailleurs » pour « vérifier à quoi servent les financements publics ».
Une autre organisation de l’Etat
L’organisation de l’Etat a également souvent subi les foudres des candidats. Marine Le Pen propose notamment de supprimer les agences régionales de santé (ARS). « Ces structures n'ont pas démontré leur efficacité et ont même démontré, dans certains cas, qu'elles étaient un obstacle », estime-t-elle. « Ce n'est pas aux préfets et aux sous-préfets de dire aux collectivités quel projet local, économique, d'infrastructures, doit se développer », considère pour sa part Yannick Jadot. Et d’ajouter : « Il faut inverser la dynamique afin que l'Etat mette ses moyens au service des collectivités ». En outre, le candidat écologiste propose, tout en conservant les préfets, de créer des « commissaires de la République à la reconstruction » qui seraient « rattachés à un grand ministère des territoires ».
Pour sa part, Valérie Pécresse défend « un choc de simplification ». « Je veux débureaucratiser avec un objectif très simple : diviser par deux le temps de toutes les procédures administratives », promet-elle aux élus locaux. La candidate LR propose aussi un « recours juridictionnel limité à six mois pour des projets d’intérêt local, départemental ou régional ». Par ailleurs, Yannick Jadot veut instaurer une « préférence géographique dans nos marchés publics » et plaide aussi pour « un service public de la rénovation thermique ancré sur les territoires ».