Plan contre les agressions d’élus : une réponse suffisante ?

Philippe Pottiée-Sperry
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Plan contre les agressions d’élus : une réponse suffisante ?

Le centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus a été lancé, le 17 mai, par le gouvernement. Il prévoit notamment le déploiement d’un « pack sécurité » pour renforcer la sécurité des élus avec 3400 référents (gendarmes et policiers) et l’aggravation des sanctions pénales.

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En 2022, le nombre de menaces et violences à l’encontre des élus s’élevait à 2265 faits contre 1720 en 2021, soit une hausse de 32%. Le phénomène continue de progresser depuis le début de l’année. Ces atteintes existent sous diverses formes. Dans 70% des cas, il s’agit de menaces, injures et outrages. 
Malgré les différentes mesures prises par l’Etat ces dernières années (renforcement du dispositif de protection fonctionnelle des élus, instructions de fermeté données aux parquets…), la situation s'est donc aggravée. On peut notamment citer le sabotage du véhicule de la maire de Plougrescant (Côtes-d'Armor), début mai, ou les agressions physiques à l'encontre de deux élus de communes rurales du Doubs, en février dernier, pour avoir tenté d'empêcher des incivilités routières.

Démission du maire de Saint-Brevin
Cette situation s'est particulièrement cristallisée autour des menaces et de l’incendie criminel contre le domicile du maire de Saint-Brevin-les-Pins, Yannick Morez, ayant décidé de démissionner de son mandat le 10 mai. L’élu était reçu par la Première ministre et Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités, le 17 mai en fin de journée. « Il faut arrêter cette spirale infernale de la violence faite aux élus dans notre République. C’est absolument inacceptable », a déclaré la ministre à l’issue de cette rencontre.
Dans la foulée, le gouvernement a installé un centre d’analyse et de lutte contre les atteintes aux élus (CALAE), dont le principe avait été annoncé mi-mars par Dominique Faure. Il s’organise autour de quatre axes : mieux protéger, mieux sanctionner, mieux comprendre, provoquer un choc civique. « L’ensemble de ces mesures visent à ce qu’aucun élu ne se sente plus seul face aux violences qu’il peut subir. Ceux qui s’en prennent aux maires et aux élus locaux doivent recevoir ce message clair et ferme : nous les protégerons », a déclaré la ministre.

Coordonner l’action des forces de l’ordre
Ce centre, qui répond à la demande des élus de disposer d’un outil national de suivi des violences faites aux élus, poursuit deux grands objectifs : mieux connaître le phénomène des violences aux élus, l’analyser et adapter la réponse opérationnelle en temps réel ; coordonner l’action des forces de sécurité pour mieux protéger les élus.
Il associera les associations d’élus et les représentants des élus locaux et nationaux. Le centre comprend plusieurs administrations et opérateurs de l’Etat : gendarmerie, police, préfecture de police de Paris, comité interministériel à la prévention de la délinquance et de la radicalisation, service statistique ministériel de la sécurité intérieure, secrétariat général du ministère de l’Intérieur, DGCL, ANCT.

3400 référents « atteintes aux élus »
Pour mieux protéger les élus, le centre pilotera le déploiement d’un « pack sécurité » chargé de renforcer leur sécurité des élus. Il s’agit tout d’abord de la création d’un réseau de 3400 référents « atteintes aux élus » dans toutes les brigades de gendarmerie et les commissariats. Objectif : donner à chaque élu un point de contact privilégié pour parler des menaces ou des violences dont il fait l’objet, afin de connaître sa situation et de pouvoir engager une action. 
« Ces référents seront les portes d’entrée des élus pour libérer la parole et faciliter le lien avec les forces de l’ordre. Pour éviter aux élus d’aller au commissariat, leur dépôt de plainte pourra se faire en mairie ou à leur domicile », explique-t-on dans l’entourage de Dominique Faure. Les noms de ces référents seront communiqués aux élus d’ici les prochains jours. « Ils pourront s’appuyer sur un réseau de 5000 gendarmes et de 950 policiers spécialisés dans la sûreté mais qui devront être formés d’ici les prochains mois sur le sujet particulier de la sûreté des élus », ajoute l’entourage de la ministre. 

Renforcement du dispositif « Alarme élu »
A cela s’ajoute le renforcement du dispositif « Alarme élu », encore peu utilisé par les maires, qui permet aux élus qui se sentent menacés de se manifester auprès de leur commissariat ou de leur gendarmerie pour être secourus rapidement en cas d’appel au 17. Avec la promesse d’une « intervention encore plus rapide ». Le dispositif permettra aussi de bénéficier d’une « vigilance renforcée » de la part des forces de l’ordre sur la mairie ou le domicile de l’élu. 
Autre mesure : le rappel aux préfets du principe « Une menace = une évaluation », pour que les forces de sécurité évaluent finement la menace et que les préfets puissent décider de mesures éventuelles de protection. 
La cyber-violence n’est pas oubliée avec la mobilisation de la plate-forme PHAROS (signalement des contenus en ligne violents ou illicites) pour mieux détecter et judiciariser les violences en ligne. Côté prévention, des sessions de sensibilisation à la gestion des incivilités et désescalade de la violence seront dispensées par le GIGN et le Raid, à l’attention des élus.

Aggravation des sanctions pénales
Sur le plan judiciaire, le gouvernement souhaite que les sanctions pénales pour les auteurs de violences faites aux élus soient renforcées et alignées sur celles des fortes de sécurité (policiers, gendarmes, pompiers). Déjà prévues dans la loi « Lopmi » (orientation et programmation du ministère de l’Intérieur), mais retoquées par le Conseil constitutionnel, elles vont être reprises dans le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027, dont la discussion en séance publique au Sénat est prévue à partir du 6 juin. Cela signifierait des sanctions jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende au lieu de trois ans et 75 000 € d’amende.

Provoquer un « choc civique »
Le CALAE a aussi une mission d’analyse des faits pour entreprendre des actions de prévention. « Il va permettre de compiler les données disponibles et les différentes bases de données nationales pour mieux connaître, comprendre et cartographier le phénomène afin de trouver des réponses opérationnelles », détaille-t-on dans l’entourage de Dominique Faure. 
Enfin, la ministre déléguée aux Collectivités défend la nécessité de provoquer un « choc civique ». Cette réponse politique au phénomène de violences devrait passer par un travail avec le ministère de l'Education nationale pour sensibiliser les jeunes ou la mise en place de dispositifs de réserve territoriale en cas de menaces ou de violences.

L’AMF dénonce « une impuissance publique »
Présent à Matignon lors de la rencontre de la Première ministre avec le maire démissionnaire de Saint-Brevin, David Lisnard, le président de l’AMF, a salué cette initiative tout en estimant que la situation des violences envers les élus traduit « une impuissance publique ». L’association demande d’« être étroitement associée » aux travaux du nouveau centre d’analyse et de lutte contre les violences faites aux élus qui doit devenir, selon elle, « une plate-forme nationale d’enregistrement et de suivi des plaintes ». 
Elle demande aussi que l’État donne plus de moyens humains et financiers aux forces de police et de gendarmerie, jugeant « insuffisants » les moyens d’enquête actuels et déplorant que cela conduise « à un nombre considérable de classements sans suite ». Sur le plan pénal, l’AMF souhaite notamment que le délai de prescription pour les menaces sur les réseaux sociaux, actuellement de trois mois, soit étendu.

Philippe Pottiée-Sperry
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