Présidentielle : Macron fait les yeux doux aux maires et agace l’AMF
Un courrier du président-candidat adressé à tous les maires défend son bilan et explique son programme pour les territoires. Dans un exercice de câlinothérapie, il les remercie et répète à plusieurs reprises « j’aurai besoin de vous ». Pas vraiment du goût d’André Laignel, le numéro 2 de l’AMF.
Dans un courrier, envoyé par mail, le 28 mars à tous les maires de France, comme l’a révélé le journal Le Parisien, Emmanuel Macron tente de les amadouer en les remerciant pour leur rôle durant la crise sanitaire avec un « engagement sans faille pour accompagner les plus fragiles, organiser le dépistage et mettre sur pied la plus grande campagne de vaccination de l’histoire de notre pays ». Coup de chapeau aussi pour l’accueil en ce moment des réfugiés ukrainiens.
Dans sa lettre, le président-candidat défend son bilan envers les élus locaux en évoquant notamment les programmes « Action cœur de villes » et « Petites villes de demain ». Il met en avant le choix de la contractualisation avec les collectivités, « pour démultiplier la relance et conjuguer nos capacités d’action, une nécessité si l’État et les collectivités veulent agir ensemble demain ». Au-delà, il liste les différentes politiques mises en place en estimant avoir répondu à leurs attentes : lutte contre les inégalités territoriales, déploiement de la fibre optique, des réseaux mobiles, d’infrastructures et de transports, ouverture de 2000 « Maisons France Services »...
« J’aurai besoin de vous »
S’il est réélu pour un second mandat, Emmanuel Macron affirme avoir besoin des élus locaux pour mettre en œuvre son projet. Et d’affirmer ainsi à plusieurs reprises « j’aurai besoin de vous ». Une tonalité bien loin de son rejet des corps intermédiaires d’il y a cinq ans ! Dans son message, il cherche aussi à rassurer les élus locaux sur les questions financières, et en particulier sur la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), prévue dans son programme, en promettant qu’elle « sera compensée à l’euro près ».
Promesses également de dotations « sanctuarisées » comme d’« engagements contractuels, sur des bases concertées, pour contribuer à l’indispensable maîtrise de la dépense publique ». Sur ce dernier point, il n’en dit pas plus et n’évoque pas le montant de 10 Md€ qui serait demandé aux collectivités comme l’a fait son représentant, Laurent Saint-Martin, député LREM du Val-de-Marne, lors de son audition, le 22 mars, par France urbaine et Intercommunalités de France.
Proposition d’une « organisation à la carte »
Au chapitre institutionnel, le candidat Macron propose aux élus « une nouvelle étape de la simplification territoriale » qui passerait d’abord par la création du conseiller territorial « pour renforcer le lien entre nos régions et nos départements, entre les compétences de développement et celles de solidarité ». Objectif : « libérer » et « protéger » ce lien. Il promet que la mise en œuvre de ce projet résultera « d’un travail et de propositions portées avec les élus ». Finies donc les décisions tombant de façon verticale ?
Autre axe mis en avant : la poursuite de la différenciation en proposant d’aller vers « une organisation à la carte, adaptée à la réalité de chaque territoire, avec la possibilité ici de supprimer un échelon, ailleurs d’en modifier le périmètre ». De plus, il plaide pour « s’accorder sur l’idée simple qu’à une compétence ou une mission doit correspondre un responsable ».
Plus de moyens d’ingénierie pour les collectivités
Par ailleurs, le président-candidat s’engage à rouvrir des sous-préfectures, notamment pour « permettre la mise à disposition de nouveaux moyens d’ingénierie pour les collectivités », mais aussi à aller plus loin dans la définition d’un pouvoir règlementaire local ou à territorialiser davantage les « compétences de la vie quotidienne » comme le logement.
Toujours au registre de la câlinothérapie, Emmanuel Macron promet aux maires de continuer à « conforter nos communes, consolider le statut de l’élu et de mieux lutter contre les violences dont vous êtes de plus en plus victimes ». Il affirme tenir au « modèle municipal français » qui est « au cœur de notre pacte républicain », avec « des élus locaux [qui] sont au fondement de notre pacte démocratique ». Et de conclure, de façon directe : « je compte sur vous ».
Le missile d’André Laignel
Parmi les réactions au courrier présidentiel, David Lisnard, le président de l’AMF, s’est contenté de regretter sur Twitter, le 28 mars, que les déclarations d’Emmanuel Macron n’aient pas eu lieu lors de la rencontre organisée le 15 mars par Territoires unis (AMF, ADF et Régions de France) avec les candidats à la présidentielle. Selon le maire (LR) de Cannes, il aurait été « si simple, efficace et respectueux de venir à la rencontre des libertés locales comme les autres candidats ».
Pour sa part, André Laignel, premier vice-président délégué de l’AMF et éternel pourfendeur du chef de l’Etat, est passé au cran supérieur en prenant lui aussi la plume pour dire tout le mal qu’il pense du courrier du président-candidat. Dans un message adressé par mail à des maires, le 1er avril, le maire (PS) d’Issoudun fustige ainsi le contenu du courrier qui, selon lui, « traduit à la fois un bilan déconnecté des réalités vécues et une volonté de poursuivre la mise sous tutelle des collectivités », comme l’a révélé Acteurs publics.
« Une nouvelle attaque contre l’autonomie fiscale »
André Laignel dénonce également « une nouvelle attaque contre l’autonomie fiscale », avec la suppression de la CVAE. « La compensation promise par des dotations n’aura qu’un résultat : réduire toujours et encore l’autonomie des collectivités, en les laissant à la merci du montant des subsides qui leur sera accordé chaque année », critique le premier vice-président délégué de l’AMF. De plus, le tour de vis budgétaire annoncé dans le courrier présidentiel ne passe pas : « cette contrainte est assurément irréaliste dans le contexte inflationniste actuel, c’est à croire que l’actuel président n'est plus en prise avec les réalités du terrain ».
Dans son viseur également la création annoncée du conseiller territorial, « une mesure comptable et démagogique » marquant « l’affaiblissement du département et de la région ». De même l’organisation à la carte proposée par Emmanuel Macron « pourrait vite se transformer en fait du prince », cingle André Laignel. Et d’ajouter : « Un tel retour des privilèges, ces statuts privés disparus avec la fin de l’Ancien Régime, pose le risque d’organiser la concurrence entre les territoires ».
La majorité dénonce « un tissu de contre-vérités »
Le courrier d’André Laignel n’a pas vraiment plu à certains élus de la majorité présidentielle. Ainsi, Jean-René Cazeneuve, député (LREM) du Gers et président de la délégation aux collectivités et à la décentralisation de l’Assemblée nationale, s’est emporté le jour même sur Twitter contre « une rupture scandaleuse de la neutralité de cette association [l’AMF] et l'utilisation de ses moyens à des fins partisanes ». Et d’enfoncer le clou en dénonçant « un tissu de contre-vérités ». Ambiance !