Présidentielle : les propositions disruptives des administrateurs territoriaux

Philippe Pottiée-Sperry
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Présidentielle propositions AATF

Décentralisation, réforme de l’Etat, fiscalité, santé, démocratie locale, temps de travail… L’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) a publié 40 propositions à l’intention des candidats à la présentielle. La publication concomitante de son baromètre réalisé avec Ipsos sur le service public local permet de donner plus de force à certaines d’entre elles. 

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Après les différentes associations d’élus locaux ou le think tank Sens du service public, les hauts fonctionnaires territoriaux interpellent à leur tour les candidats à l’élection présidentielle sur l’action publique locale. Avec la volonté de se faire entendre grâce à quelques propositions disruptives comme la possibilité de variations du temps de travail en fonction des séquences de la vie (compte temps de travail /carrière), la reprise de 100% de l’ancienneté acquise dans le privé lors de l’intégration dans la fonction publique (renforcement de l’attractivité), la possibilité pour les collectivités de collecter l’épargne des Français ou encore l’assujettissement des collectivités à la TVA (reversement de 500 M€ à 1 Md€ par an dans les budgets des collectivités). Avec ses 40 propositions, l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) balaye large : décentralisation, réforme de l’Etat, fiscalité, santé, démocratie locale, temps de travail… Une partie d’entre elles sont de facture plus classique comme la reconnaissance des collectivités comme des partenaires à part entière de l’Etat ou le maintien sur tous les territoires d’un accès « humain » au service public. D’autres sont plus floues comme par exemple de permettre aux collectivités de participer à la refondation de l’éducation : on reste un peu sur sa faim !

Le service public local plébiscité par les Français

Originalité de la démarche, l’AATF adosse à ses propositions la publication de la 5ème édition de son baromètre réalisé avec Ipsos sur le service public local. Un moyen de donner plus de force à certaines de ses préconisations. Selon le président de l’AATF, Fabien Tastet, « dans une période où se succèdent les chocs et les crises traumatiques, il y a besoin de pouvoir s’appuyer sur des points d’ancrage, des pôles de stabilité comme le sont les collectivités locales et de pouvoir capitaliser sur la confiance qu’elles inspirent ». 
Le baromètre confirme la bonne opinion des Français à l’égard du secteur public local. 79% d’entre eux font davantage confiance aux collectivités qu’à l’Etat pour organiser les services publics là où ils habitent. De même 68% ont une bonne opinion des fonctionnaires territoriaux. Au-delà, pas moins de 80% des Français considèrent que les collectivités fournissent des prestations et des services de qualité à leurs administrés. Par ailleurs, parmi les acteurs publics considérés comme les plus efficaces pour répondre à la crise, les collectivités arrivent en deuxième position pour les Français (70%), juste derrière l’hôpital (82%), mais largement devant les préfectures (22%) et les ministères (19%).

Plus de liberté pour les collectivités

Ces différents résultats doivent permettre, selon l’AATF, de renforcer les pouvoirs de proximité sous le prochain mandat, avec notamment la reconnaissance d’un pouvoir réglementaire pour les collectivités (88% des Français y sont favorables) ou d’un droit de subsidiarité. Elle promeut le renforcement du couple Etat local/collectivités avec une autorité renforcée pour le préfet sur les services déconcentrés de l’État, y compris les diverses agences. Cela doit aussi passer par un « Etat territorial qui en finit avec l’émiettement, qui soit mieux coordonné par le préfet, moins censeur et plus coopératif vis-à-vis des collectivités ». L’association demande le transfert des agents de « l’État local non régalien » vers les collectivités pour supprimer les doublons administratifs. Cette dernière mesure permettrait, selon elle, de redéployer sur cinq ans 20 % des postes vers des secteurs qui en ont besoin. 
Par ailleurs, les administrateurs territoriaux réitèrent leur proposition de pouvoir plus intervenir auprès des entreprises locales en permettant aux intercommunalités d’entrer, sous conditions, à leur capital, ce qui n’est aujourd’hui possible que pour les régions (66% des Français favorables à cette proposition).

Création d’un impôt universel local

Côté finances, l’AATF défend la mise en place d’un nouveau panier de recettes fiscales des collectivités, sur la base par exemple du transfert d’une part de CSG au secteur public local. « Aujourd’hui, on présente comme vérité absolue que la seule façon de réformer un impôt est de le supprimer, regrette Fabien Tastet. Par ailleurs, les impôts proportionnels, donc injustes, sont majoritaires ». Et de citer le baromètre, selon lequel 63% des Français considèrent que l’impôt est un bon outil pour financer les services publics locaux. L’AATF propose ainsi d’adapter la fiscalité des entreprises aux mutations de l’économie en transformant l’actuelle Tascom en impôt sur les entrepôts et surfaces de stockage de l’e-commerce. 77% des Français approuvent ce qui s’apparenterait à un impôt local « Amazon ». 
L’association défend aussi la création d’un impôt universel local pour que tous les habitants contribuent au financement des services publics alors que la suppression de la taxe d’habitation a limité aux seuls propriétaires l’assujettissement à l’impôt local des ménages. Autre proposition : la possibilité de collecter directement l’épargne des Français à travers un livret dédié (78% des Français sont pour).

Bouleverser les règles du temps de travail

Défendant la nécessité de nouvelles formes de vie au travail, l’association propose de permettre les variations du temps de travail en fonction des séquences de la vie : le compte temps de travail /carrière. Une proposition pour le moins audacieuse ! « La façon de compter le temps de travail n’est plus adaptée à nos parcours de vie, argumente le président de l’AATF. Les carrières sont de moins en moins linéaires et séquencées par des étapes importantes : le début de carrière, la parentalité, la formation ou la reconversion professionnelle, l’aide aux proches en perte d’autonomie.... Chaque actif devrait ainsi pouvoir moduler son temps de travail et l’adapter à sa situation, pour travailler moins à certaines étapes de la vie et plus à d’autres ». En pratique, le temps de travail pris en compte pour faire valoir ses droits à la retraite serait calculé à l’échelle de la vie professionnelle et figurerait dans un compte que le salarié ou l’agent public transmettrait à ses employeurs respectifs (80% des Français sont pour). 
Par ailleurs, l’AATF souhaite que les acteurs publics locaux aient un rôle accru dans la gestion collective de la FPT. Et de plaider pour l’institutionnalisation d’un conseil des employeurs publics locaux et d’un observatoire des pratiques RH territoriales sur le modèle de ce qui existe dans le champ financier (binôme Comité des finances locales et Observatoire des finances et de la gestion publique locale).

Des médecins salariés par les collectivités

Sur le sujet de la santé, très présent dans la campagne présidentielle, l’AATF juge que « des mesures timorées ne suffisent plus à endiguer les inégalités croissantes d’accès aux soins sur le territoire ». Elle propose ainsi d’imposer pour quelques années l’installation des nouveaux médecins dans les zones à faible densité médicale (91% des Français y sont favorables). Autres mesures préconisées : la possibilité pour les collectivités de salarier directement des médecins dans ces zones (82% de soutien), l’instauration d’un numerus clausus entre spécialistes et généralistes pour accroître l’offre de médecine générale dans les territoires. Constatant un grave déséquilibre entre spécialistes et généralistes – sur les 10 000 derniers médecins formés, seuls 10% sont devenus généralistes – l’AATF plaide pour accroître le nombre de ces « premiers de corvée de la médecine » qui font le lien sanitaire et social avec la population. Il s’agirait ici d’imposer la formation d’un plus grand nombre de généralistes.
Sur le numérique, l’association veut interdire les services publics totalement dématérialisés, une proposition soutenue sans surprise par 84% des Français. Elle y ajoute une obligation, pour tout acteur public, de déployer un service public à domicile pour les personnes les plus isolées ou les plus en difficulté.

Mise en place d’« audits citoyens »

Enfin, pour lutter contre la défiance envers la politique et l’abstention aux élections, l’AATF propose de mettre en œuvre le vote par correspondance et d’expérimenter le vote électronique (71% des Français approuvent l’idée). Autres propositions : la création d’un référendum d’initiative citoyenne (78% approuvent) et l’élection au suffrage universel direct des représentants des intercommunalités (84% y sont favorables). De plus, elle défend l’idée d’« audits citoyens » pour permettre aux citoyens d’avoir un droit de regard direct sur la conduite de l’action publique. 86 % des Français sont favorables à cette mesure qui pourrait par exemple trouver une application d’actualité avec les Ehpad, précise l’AATF.

Philippe Pottiée-Sperry
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