Le Sénat plaide pour renforcer l’État territorial autour du préfet
Critiquant sévèrement l’organisation territoriale de l’État, un rapport sénatorial formule 24 recommandations, notamment pour y renforcer le rôle du préfet, renouveler le maillage territorial ou améliorer la relation de confiance avec les élus.
Sans surprise, le rapport sénatorial sur les services déconcentrés de l’Etat, publié le 29 septembre, dresse un bilan sévère sur le mouvement continu de réforme depuis une quinzaine d’années (révision générale des politiques publiques - RGPP -, modernisation de l’action publique – MAP -, Action publique 2022). « Aucune évaluation rigoureuse et exhaustive de la réforme précédente ne détermine la réforme suivante », est-il pointé. Et d’ajouter : « l’offre d’État répond mal, voire pas du tout, aux besoins des collectivités ».
Tel est le diagnostic établi, après plusieurs mois d’enquête, par le rapport de la délégation du Sénat aux collectivités territoriales, réalisé par Agnès Canayer (LR) et Eric Kerrouche (PS), et intitulé « À la recherche de l’État dans les territoires » sur les services préfectoraux et déconcentrés de l’État.
Offre de services publics « défaillante »
Plus de quatre élus locaux interrogés sur cinq estiment ne pas avoir été suffisamment associés aux différentes réformes de l’organisation territoriale de l’État, selon l’enquête réalisée par la délégation sénatoriale. Ce regret est partagé par les préfets et les sous-préfets eux-mêmes qui ont le sentiment à 43 % de n’avoir pas été associé aux réformes.
Autre constat : si chaque réforme affiche l’ambition d’améliorer le fonctionnement des services, « la réalité est celle d’une baisse des moyens de l’État dans les territoires ». Ainsi, en 2011 les effectifs physiques des directions départementales interministérielles (DDI) s’élevaient à 39 796 agents, mais ces directions ne comptaient plus que 25 474 agents en 2020 (soit une chute de 36 %). En conséquence, près d’un maire sur deux de commune de moins de 1000 habitants estime que l’offre de services publics sur son territoire est « défaillante ».
Plus de contractualisation
Parmi les remèdes préconisés, les deux sénateurs n’estiment pas que l’Etat ait besoin « d’un énième "big bang" administratif, mais d’aménagements ciblés et substantiels pour mieux répondre au besoin d’efficacité des collectivités territoriales et aux attentes des élus locaux ».
Pour mieux répartir les compétences d’État dans les territoires, ils insistent sur deux principes : la subsidiarité et la différenciation territoriale.
Ils plaident pour plus de contractualisation dans le cadre de la relation entre les services de l’État et les collectivités, notamment pour sortir d’une logique d’appel à projets « qui impose aux collectivités de rentrer dans des cases prédéfinies, bride leur initiative et requière - pour candidater - un niveau d’expertise hors de portée de beaucoup des plus petites d’entre elles ». Parmi les leçons de la crise sanitaire figurent la nécessité et la pertinence d’une bonne relation entre les maires et les préfets de département.
Trop d’agences de l’État
Des pans très importants de l’action de l’État échappent (en dehors des périodes de crise), en totalité ou en partie, au préfet. A cela s’ajoute de trop nombreuses agences de l’État, un sentiment partagé par près de 65 % des élus et même 80 % des préfets et des sous-préfets ! Pour ces derniers, la mission sénatoriale plaide pour leur donner un rôle plus important en soutien aux populations fragiles et en butte à l’illectronisme ou aux difficultés d’accès aux procédures dématérialisées.
Ancrer le préfet au cœur de l’État territorial
Les sénateurs formulent ici une série de propositions dont tout d’abord un meilleur ancrage du préfet au sein de l’État territorial. Cela passerait notamment par son rattachement direct au Premier ministre, compte tenu de leurs missions de plus en plus transversales et relevant d’une démarche interministérielle.
Autres finalités : faire de l’échelon départemental le périmètre de mise en œuvre des politiques publiques, instaurer une durée minimum d’affectation des préfets d’au moins quatre ans, avec une feuille de route sur cette période, assurer l’autorité du préfet sur l’ensemble des directions régionales et départementales, placer l’ensemble des services de l’État sous l’autorité du préfet en période de crise, nommer le préfet comme délégué territorial de toutes les agences de l’État et faire du sous-préfet leur représentant dans les territoires.
Plus de confiance envers les élus locaux
La deuxième recommandation de la mission concerne l’instauration d’une relation de confiance avec les élus locaux. Cela passerait par une concertation nationale obligatoire avec les associations d’élus en amont du lancement d’une politique ministérielle se chevauchant avec des compétences décentralisées. En matière financière, cette recommandation signifierait d’instaurer plus de transparence dans l’attribution des subventions de l’État (dotation d’équipement des territoires ruraux – DETR – et dotation de soutien à l'investissement local – DSIL) pour les projets des collectivités et abaisser à 20 000 € le montant des projets soumis à l’avis de la commission.
Plus surprenant, les sénateurs proposent de procéder à une évaluation régulière des préfets par les maires, les présidents d’EPCI et de, départements. Mais comment cela pourrait-il s’effectuer concrètement ? Ils suggèrent aussi de passer d’une logique de contrôle de légalité à une logique de conseil aux collectivités, en préconisant par exemple d’expérimenter l’auto-contrôle de légalité pour les communes et les EPCI les plus peuplés.
Renouveler le maillage territorial
Par ailleurs, la mission sénatoriale propose de repenser les schémas départementaux d’amélioration de l’accessibilité des services au public pour assurer un objectif d’équilibre territorial, notamment en élargissant le périmètre des acteurs concernés pour leur élaboration. De plus, elle plaide pour transformer l’organisation du corps préfectoral sur certains postes en expérimentant le dédoublement des fonctions de préfet de région et de département ou, alternativement, en expérimentant la transformation du secrétaire général de la préfecture de région en préfet du département chef-lieu avec ajout d’un sous-préfet chargé de l’arrondissement centre. L’expérimentation pourrait aussi porter sur le dédoublement des fonctions de secrétaire général de préfecture et de sous-préfet d’arrondissement.
De plus, elle demande d’interdire les fermetures simultanées de services déconcentrés sur le territoire d’une même commune, d’un même EPCI, voire d’un département (pour ceux de moins de 250 000 habitants). Plaidant pour un rôle plus important à confier au sous-préfet, elle souhaite encourager l’attribution de fonctions thématiques au sous-préfet d’arrondissement et renforcer son rôle de conseil. La carte des arrondissements serait revue pour tenir compte des transformations récentes de périmètres, notamment des intercommunalités.