Différenciation territoriale : un booster de décentralisation

Philippe Pottiée-Sperry
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Alors que le grand débat montre une demande de plus de proximité et de décentralisation (https://tokster.com/article/appel-pour-un-nouvel-acte-de-decentralisation), la perspective d’un droit à la différenciation territoriale apparaît très prometteuse et ne relève pas que des juristes !

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Contenu dans le projet de réforme constitutionnelle, en attente d’examen par le Parlement, ce nouveau droit découlerait d’une modification de l’article 72 de la Constitution et constituerait une petite révolution dans notre organisation administrative avec un fonctionnement à géométrie variable des collectivités.

La Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale organise un colloque sur le sujet le 13 mars. Avant cela elle a rendu un rapport mi-février, dont les deux rapporteurs étaient Jean-René Cazeneuve (LREM) et Arnaud Viala (LR), sur les possibilités ouvertes par ce droit à la différenciation.

Reconnaissance d’un nouveau droit

La Délégation rappelle tout d’abord que le droit à la différenciation recouvre, d’une part, la possibilité pour des collectivités de disposer de compétences dont ne disposent pas toutes les collectivités de leur catégorie, et, d’autre part, la capacité pour elles déroger de façon durable (et pas uniquement à titre expérimental) à certaines normes. Au printemps 2018, elle avait déjà consacré ses premiers travaux à l’expérimentation et la différenciation territoriales, dans la double dimension « compétences » et « normes », et plaidé en faveur de sa reconnaissance dans la Constitution. Après le dépôt du projet de loi constitutionnelle, la Délégation a créé un groupe de travail sur les possibilités concrètes qu’ouvrirait, pour les collectivités, la reconnaissance d’un tel droit. Et ses conclusions apparaissent assez enthousiastes.

Un approfondissement de la décentralisation

« Après les années 1980 qui ont été, avec les premiers transferts de compétences de l’État vers les collectivités, celles de la consécration de la décentralisation, les années 2020 ont vocation à être celles de la différenciation », estime la Délégation. Selon elle, « la différenciation permettra un nouvel approfondissement de la décentralisation en donnant aux collectivités davantage de marges de manœuvre pour agir plus efficacement ». Dans le domaine des compétences, l’objectif est d’autoriser davantage de différenciation en rendant moins stricte l’application du principe d’égalité. Concernant la différenciation des compétences, la Délégation plaide pour des garanties suffisantes « pour assurer le respect des principes garantissant les droits des collectivités : principe de libre administration, principe de subsidiarité, principe de la compensation financière des transferts de charges ». Pour la différenciation des normes, le projet de loi vise à permettre de façon pérenne des dérogations locales et durables au principe d’égalité qui ne sont aujourd’hui possibles qu’à titre expérimental, donc de façon temporaire et en vue d’une éventuelle généralisation.

Une grille de lecture juridique

Pour tenter d’y voir plus clair, la Délégation fournit une définition concrète et s’appuie sur des projets de différenciation des compétences ou des normes, portés ou envisagés par des collectivités. La grille de lecture juridique proposée permet ainsi d’analyser chacun de ces projets et de dire s’il serait possible ou pas. Les 34 projets analysés proviennent de collectivités auditionnées ou obtenues via un questionnaire mis en ligne. Dans le détail : -14 projets ne présentent pas de difficulté juridique sérieuse et n’appellent pas d’objection particulière en opportunité.-12 projets, sans difficulté juridique sérieuse ou insoluble, soulèvent néanmoins des interrogations en opportunité. -8 projets présentent une difficulté juridique sérieuse pouvant s’opposer à leur réalisation ou, en tout cas, étant complexe à résoudre. Au-delà de ces projets, la Délégation constate que le champ potentiel des différenciations possibles est très large.

Un champ très large des projets

Dans les 34 projets analysés, ceux sans difficultés juridiques sont très divers. On peut notamment citer : -Permettre des dérogations aux règles applicables aux différentes catégories d’intercommunalités -Permettre aux petites communes de délivrer les cartes d’identité (faculté perdue au premier semestre 2017) - Permettre à un département d’intervenir dans le domaine économique pour acquérir un bien immobilier à vocation économique et d’intérêt départemental -Permettre à un département d’intervenir dans le domaine de la protection et de la mise en valeur de l’environnement -Confier à un département le co-pilotage et la gestion des fonds déconcentrés dans le cadre des politiques des solidarités territoriales -Confier à un département un rôle de coordination par des politiques et des financements en matière de handicap-Permettre à un département d’exercer une compétence inter-Scot ou d’élaborer un Scot départemental-Étendre l’objet de la délégation de compétence que les régions peuvent recevoir de l’État en matière d’emploi -Permettre à une région de financer et d’accompagner des expériences de développement de la télémédecine en milieu ruralEn revanche, dans les projets recalés, on peut citer la possibilité pour les collectivités de « négocier avec des États voisins des accords internationaux », l’adaptation des lois littoral et « Alur », l’élargissement des cas de non-versement du RSA ou la dérogation pour les petites communes aux normes d’accessibilité des bâtiments et de défense extérieure contre l’incendieAutre exemple retoqué : permettre aux intercos comptant beaucoup de communes de déroger au principe, pour certaines décisions, d’une majorité qualifiée ou de l’unanimité.

« L’instrument de politiques innovantes »

Dans son rapport, la Délégation aux collectivités et à la décentralisation de l’Assemblée se veut rassurante en affirmant que « le droit à la différenciation n’autorisera pas 'tout et n’importe quoi' comme certains défenseurs de l’unité républicaine la plus stricte semblent le craindre ». Un constat qui l’amène à souhaiter « vivement » que la révision constitutionnelle puisse aboutir. Celle-ci permettrait, selon la Délégation, des possibilités nouvelles et réelles d’intervention différenciée pour les collectivités qui voudront s’en saisir afin d’en faire l’instrument de leurs politiques innovantes. Et de conclure que la différenciation permettra « la nouvelle étape de la décentralisation dont notre pays a besoin pour répondre aux besoins d’innovation et de liberté des collectivités, au service de leurs habitants et de leurs territoires ».
Philippe Pottiée-Sperry
Philippe Pottiée-Sperry
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