Le projet de loi 4D totalement remanié par le Sénat

Philippe Pottiée-Sperry
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« Un texte d’une extrême timidité auquel nous nous sommes attachés à donner du souffle ». Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités à la décentralisation du Sénat, et co-rapporteure du texte » , a ainsi expliqué, le 30 juin, la raison d’être des 372 amendements adoptés (sur plus de 1000 déposés) par les commissions du Sénat au projet de loi « 4D », dénommé à présent « 3DS » (différenciation, décentralisation, déconcentration et portant diverses mesures de simplification).

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Il sera examiné par le Sénat en séance à compter du 7 juillet. Jugé très en deçà des annonces initiales du gouvernement et des attentes des acteurs locaux, le texte a donc été largement « enrichi » par les commissions des lois, des affaires économiques, des affaires sociales ainsi que de l’aménagement du territoire et du développement durable. Elles se sont notamment appuyées sur les 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, présentées dès juillet 2020. La Haute Assemblée prévient déjà qu’elle n’acceptera pas que tout son travail soit remis en cause. « Si les conditions ne sont pas remplies, nous n’irons pas vers une CMP [commission mixte paritaire] conclusive », lance ainsi Mathieu Darnaud, l’autre corapporteur du projet de loi.

Aller plus loin sur la différenciation

« Sur la différenciation, nous y allons assez fort en portant le principe soutenu par les associations d’élus d’une possibilité de délégation de compétence d’une collectivité à une autre », estime Françoise Gatel. Et de citer le cas d’une région qui pourrait déléguer la compétence des aides économiques à un département, ce qui n’est pas possible aujourd’hui. Se disant très déçue par rapport aux attentes suscitées, la commission des lois a pas mal modifié le texte en précisant la portée et en rendant plus opérationnel le principe de différenciation inscrit dans la loi (article 1er). De même, les champs dans lesquels pourra être exercé un pouvoir réglementaire local sont largement élargis (article 2). De même sont ouvertes de nouvelles possibilités de délégations de compétences (article 3) entre collectivités et de transferts de compétences au sein du bloc communal. La possibilité de transferts « à la carte » des communes aux intercos, déjà tentée par le Sénat lors de l’examen fin 2019 de la loi « Engagement et proximité », mais retoquée par le gouvernement, ne manque pas d’inquiéter les intercommunalités et en particulier l’AdCF qui demande de ne pas ajouter à l'intitulé du projet de loi « le D de détricotage ».

De même, le Sénat veut, une nouvelle fois, annuler le transfert obligatoire des compétences eau et assainissement aux intercos. Il s’agit ici d’un amendement des deux corapporteurs du texte, jugeant insuffisante la souplesse prévue par la loi « Engagement et proximité ». « Nous ne remettons pas en cause l’intercommunalité mais défendons plus de souplesse au nom du principe de subsidiarité », argumente Françoise Gatel. Un discours habituel chez les sénateurs à la plus grande satisfaction de l'AMRF (Association des maires ruraux de France) qui continue de réclamer le caractère optionnel du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes. Au delà, à la veille du début de l'examen du projet de loi par le Sénat, l'AMRF revendique « d'augmenter ou de recouvrer le pouvoir d’agir des maires ».

Renforcer la décentralisation

Sans souhaiter un nouveau "big bang" territorial, les commissions sénatoriales déplorent « la faiblesse des dispositions proposées en matière de décentralisation » et la suppression de plusieurs mesures, inscrites dans l’avant-projet de loi, comme le transfert de la médecine scolaire. Par ailleurs, Mathieu Darnaud déplore l’absence de réponse du gouvernement, et en particulier du ministère des Transports, sur le contenu précis des transferts des routes aux départements, aux métropoles et aux régions volontaires (articles 6 et 7) comme l’absence d’une liste des routes concernées, malgré la promesse de Jacqueline Gourault.

Plaidant pour donner un « souffle décentralisateur » au projet de loi, la commission des lois propose notamment de transférer la compétence du service public de l’emploi aux régions (une demande ancienne de leur part) ou de renforcer la compétence de solidarité territoriale des départements. Mathieu Darnaud défend ainsi des régions ayant un rôle de « chef de file en matière d’emploi et d'activité économique ».

Concernant l’expérimentation de la recentralisation du financement et de la gestion du RSA, elle a tout simplement été retirée du texte par la commission des affaires sociales au motif qu’elle n’est pas « correctement documentée ». Argument avancé : l’absence d’élément d’évaluation sur les recentralisations réalisées depuis 2019 dans trois départements d’outre-mer (la Guyane, Mayotte et La Réunion). Retrait aussi du transfert de la tutelle des pupilles de l’État afin de mettre cette disposition dans le projet de loi sur la protection de l’enfance que le gouvernement vient de présenter avec un examen parlementaire attendu à l’automne.

Plus de pouvoir pour les élus locaux dans les ARS

Parmi les leçons de la crise sanitaire, le pouvoir des élus locaux au sein des agences régionales de santé (ARS) est renforcé dans le projet de loi (article 31). Mais les sénateurs jugent très insuffisantes les mesures prévues qui consistent surtout à la coprésidence du conseil d’administration (qui remplace le conseil de surveillance) de l’ARS confiée à deux représentants des collectivités. Ainsi, la commission des affaires sociales du Sénat propose de confier la coprésidence au président de région aux côtés du préfet de région qui préside ce conseil depuis la création des ARS. De plus, il y a un rééquilibrage des voix au sein du conseil d’administration entre les représentants de l’État – lesquels disposent à l’heure actuelle de trois voix chacun – et ceux des collectivités. Les groupements de collectivités sont ajoutés à la composition du conseil. Ce dernier se voit renforcé dans ses prérogatives (cantonnées surtout aujourd’hui au vote du budget de l’ARS) en soumettant à son approbation (plutôt qu’à son simple avis) le projet régional de santé, document stratégique de planification de la politique de santé à l’échelon régional. Par ailleurs, un décret définira précisément la définition des missions des délégations départementales des ARS, après consultation des associations d’élus locaux.

Urbanisme et logement

Concernant l’urbanisme et le logement, les sénateurs reconnaissent de « réelles avancées du texte pour l’application différenciée et déconcentrée de la loi "SRU" à travers la fin de la date butoir de 2025 ». La commission des affaires économiques a ainsi approuvé la possibilité d’adapter le rythme de rattrapage du déficit de logements sociaux dans le cadre d’un contrat de mixité sociale conclu entre le maire et le préfet et l’évolution des critères d’exemption. Parmi les ajouts, afin de lutter contre les ghettos, il ne serait plus autorisé les logements très sociaux dans les communes comptant déjà plus de 40% de logements sociaux. A cette fin, la construction de logements très sociaux dans les communes déficitaires serait incitée en les majorant dans le décompte, et en évitant d’attribuer à des publics en difficulté des logements dans des résidences déjà fragilisées. Par ailleurs, les organismes de foncier solidaire en faveur de l’accession sociale à la propriété sont confortés en élargissant et précisant leur champ d’action.

Approfondir la déconcentration

Jugeant insuffisantes les quelques mesures de déconcentration prévues par le texte, la commission des lois a tenu à renforcer la place du préfet de département, dont « l’importance » a été confirmée par la gestion de la crise sanitaire. Plusieurs amendements adoptés visent donc à lui redonner plus de poids, après avoir été « largement affaibli depuis la décennie 2010 ». Par exemple, toute décision prise au niveau territorial devrait relever en priorité du préfet de département. La commission des lois propose aussi de créer une instance de dialogue entre les préfets de départements et les collectivités sur « tout différend sur l’interprétation d’une norme et chargée de contribuer au dialogue État-collectivités ». Elle se substituerait à l'actuelle commission départementale de conciliation des documents d'urbanisme. Associant les fonctionnaires territoriaux, cette instance permettrait aussi d’assurer une continuité dans la démarche locale de simplification. A noter que les élus locaux, consultés dans le cadre de la consultation sénatoriale en ligne sur leurs attentes en matière d'efficacité de l'action publique, sont favorables à plus de 90% à l’idée de créer cette nouvelle instance. Refusant que la révision des statuts du Cerema passe par ordonnance, les sénateurs veulent l’inscrire directement dans la loi. Autre mesure prévue : la délégation possible de la gestion de la totalité des fonds « économie circulaire » et « chaleur » de l’Ademe aux régions.

Mesures de simplification

En matière de simplification, les sénateurs ont supprimé les dispositions relatives aux contrats de cohésion territoriale (article 47), à l’obligation d’utilisation des bases d’adresses locales (article 52) et aux mesures relatives à la coopération transfrontalière en matière de documents d’aménagement du territoire (article 58). Motif évoqué : « ces mesures aboutissaient – paradoxalement – à complexifier le droit existant ».

Par ailleurs, ils ont renforcé le contrôle des entreprises publiques locales (sociétés d'économie mixte, sociétés publiques locales), « à condition que les mesures envisagées n'entravent pas inutilement leur fonctionnement et ne lèsent pas les intérêts des tiers » (articles 70 à 73).

Philippe Pottiée-Sperry

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