Projet de loi « 3DS » : les députés donnent leur version

Philippe Pottiée-Sperry
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Après son adoption en juillet dernier par le Sénat, le projet de loi « 3DS » (décentralisation, différenciation, déconcentration et simplification) est discuté en séance publique par les députés du 6 au 21 décembre pour 40 heures programmées de débats.
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Le texte adopté en commission revient en grande partie sur la version sénatoriale pour un projet de loi au final très proche de la version gouvernementale d’origine. La sénatrice Françoise Gatel, qui en était la rapporteure au Sénat, a regretté un texte « tronçonné ». C’est le volet intercommunal, « assoupli » par les sénateurs, qui a été parmi les plus remaniés par les députés en commission. A la plus grande satisfaction de l’AdCF ou de France urbaine, mais pas vraiment de l’AMF. Le projet de loi « 3DS » s’apparente avant à tout à un texte technique. « Ce n'est pas une révolution mais une somme de petites améliorations », a ainsi affirmé le Premier ministre, Jean Castex, le 3 décembre, en clôture du congrès de l’ADF (Assemblée des départements de France).

Refus de la « supra-communalité »

Refusant une « supra-communalité », le nouveau président de l’AMF, David Lisnard, plaide pour une « intercommunalité choisie ». Si un maire n'a plus son mot à dire, on n'est plus sur de l'intercommunalité mais sur de la supra-communalité, a-t-il déclaré le 28 novembre dans une interview à Corse-Matin. On ne gagnera pas en efficacité et en cohérence sociale si l'on empêche les maires de décider ». De même, l’AMRF (Association des maires ruraux de France), jugeant déjà la version du Sénat du projet de loi « trop frileuse », a interpellé les députés en leur communiquant 21 propositions, en leur demandant de redonner de « la liberté d’action aux communes » notamment en permettant aux intercos de leur rendre des compétences.

481 adoptés par la commission des lois

Plus de 1400 amendements ont été déposés pour 481 adoptés par la commission des lois de l’Assemblée. De nombreux autres amendements seront également discutés en séance publique dont 49 proviennent du gouvernement notamment sur la Métropole d’Aix-Marseille-Provence. L’urgence a été déclarée sur le projet de loi (une seule lecture dans chaque chambre) avec la promesse du gouvernement d’une adoption définitive avant la fin de cette législature. Mais un accord entre députés et sénateurs, via une commission mixte parlementaire (CMP) conclusive devant se tenir tout début 2022, semble à ce jour bien mal parti.

Devant la commission des lois de l’Assemblée, Jacqueline Gourault a estimé que « le travail avec les sénateurs s’est bien passé » tout en reconnaissant qu’« il reste des sujets de désaccord sur l’intercommunalité ». On pourrait même dire un désaccord profond ! Selon la ministre de la Cohésion des territoires, « il faut préserver la construction intercommunale qui, dans l’immense majorité des cas, se déroule bien, voire très bien ». Sur la même longueur d’ondes, Jean-René Cazeneuve, député (LREM) du Gers et président de la délégation aux collectivités et à la décentralisation de l’Assemblée, justifie les amendements de retrait afin de « contrer la remise en cause du Sénat des acquis de l’intercommunalité ».

Interco : retour à la version initiale

La commission des lois est revenue sur la possibilité d’un transfert « à la carte » de compétences facultatives, qui avait été introduite par le Sénat. De même le rétablissement de l’intérêt communautaire a été supprimé, sauf pour la création et la gestion de cimetières, sites cinéraires et crématoriums. A cela s’ajoute la suppression par les députés, au motif de l’inconstitutionnalité, de l’article 46 bis permettant au préfet d’accorder aux collectivités la faculté de déroger, dans leurs domaines de compétences, aux règles fixées par voie réglementaire. Par ailleurs, l’exclusion des dépenses de solidarité sociale des « contrats de Cahors », introduite par les sénateurs, a été retirée par un amendement du rapporteur Bruno Questel (LREM), au motif, selon lui, qu’« elle aurait sa place dans une loi de programmation des finances publiques ». A noter encore la suppression du droit de véto confié au conseil municipal sur les projets éoliens.

Sur le sujet toujours très sensible des compétences eau et assainissement, la commission des lois est revenue à la version initiale du gouvernement. Selon Jacqueline Gourault, les lois « Fesneau » et « Engagement et proximité » restent suffisantes avec une redélégation possible aux communes. Les députés sont donc revenus sur la suppression, votée par le Sénat, du transfert obligatoire par les communes aux communautés de communes (CC) et d’agglomération (CA) des compétences eau et assainissement, au plus tard le 1er janvier 2026, ainsi que pour les CA de la compétence de gestion des eaux pluviales. Regrettant cette obligation, qui suscite toujours de fortes oppositions chez les élus municipaux, le député Jean-Paul Dufrègne a déposé une proposition de loi visant de nouveau à la supprimer. Sans surprise, le texte a été rejeté par la commission des lois.

Enfin, la commission n’a pas élargi les capacités d’utilisation de la taxe GEMAPI. Elle reste donc limitée à sa vocation originelle de prévention des inondations et non pas à la lutte contre l’érosion des sols, en particulier sur le recul du trait de côte. Sur ce sujet, l’AMF, craignant une forte hausse des coûts financiers, a été entendue.

Mesures de déconcentration

La disposition généralisant l’information préalable des collectivités par le préfet en cas de suppression d’un service public a été supprimée par les députés. Selon Élodie Jacquier-Laforge, rapporteure, « cet article part d’une bonne intention mais n’est pas du tout réaliste et opérationnel ». Actuellement, l’obligation d’information n’existe que dans les territoires concernés par une ORT (opération de revitalisation de territoire). « Généraliser ce dispositif risquerait de le rendre inapplicable, ce qui se retournerait contre les territoires qui en ont le plus besoin », estime-t-elle.

La commission des lois a aussi retoqué l’article prévoyant que toute décision de l’État prise au niveau territorial, y compris sur le plan régional, relève du préfet de département. Motif invoqué : une disposition « peu praticable » et qui « excède les prérogatives du législateur » car relevant du pouvoir réglementaire. Exit également de l'attribution de la DSIL au niveau départemental, principalement par le préfet de département, comme de la conférence de dialogue Etat/collectivités à la même échelle (maintien de la commission de conciliation jugée « une instance de dialogue utile et satisfaisante »).

En outre, le renforcement du rôle du préfet dans l’attribution des aides des agences de l’eau a été réintroduit. La présidence du conseil d’administration de l’agence de l’eau est donc confiée au préfet coordonnateur de bassin où l’agence a son siège. Cette recentralisation inquiète bon nombre d’élus. A noter également le retour à la version initiale de l’article 45 qui donne au préfet de région la fonction de délégué territorial d’agences nationales comme l’Ademe.

Volet urbanisme et logement

Concernant la révision de la loi SRU, la commission des lois a fortement revu les dispositions votées par le Sénat. Il est notamment supprimé la possibilité de recours devant le préfet d’une commune qui n’a pas obtenu de son EPCI une proposition d’exemption. Selon le rapporteur de la commission des affaires économiques, Mickaël Nogal, les EPCI, du fait de leur rôle de chef de file en matière de politique de l’habitat, doivent « rester pleinement à l’initiative des propositions d’exemption, afin de garantir la cohérence des propositions et leur pertinence au regard des politiques locales de l’habitat ». Il est aussi supprimé l’exonération de prélèvement pour les communes bénéficiaires de la DSR. Motif invoqué : les exemptions des obligations SRU sont déjà possibles dans pour les communes rurales situées dans des territoires peu tendus ou hors des agglomérations de plus de 30 000 habitants et mal connectées aux bassins de vie.

Par ailleurs, les députés ont rétabli l'avis préalable obligatoire de la commission nationale SRU lorsque le contrat de mixité sociale permet de déroger aux objectifs de droit commun. Le dispositif adaptant le contrat de mixité sociale aux besoins de la mutualisation intercommunale, créé par le Sénat, est repris mais en augmentant le taux d’effort minimal des communes concernées à deux tiers de l'effort de droit commun, ce qui équivaut à 22 %.

Autorité organisatrice de l’habitat

Concernant le PLU-I, ils ont supprimé l’article 30 bis B en estimant que deux dispositions votées par le Sénat visaient « à complexifier le transfert de la compétence du PLU » alors que « l'échelle intercommunale pour l'élaboration des PLU est à privilégier ». De plus, la qualité d’autorité organisatrice de l’habitat (AOH), reconnue aux intercos les plus intégrées, est maintenue en précisant leurs possibilités d’action.

A noter encore l’adoption, par la commission des lois, d’un amendement permettant au département de mettre à la disposition des communautés de communes une assistance technique pour l’élaboration de leur PLH. Cette possibilité est étendue entre EPCI lorsqu’ils appartiennent à des pôles d’équilibres territoriaux et ruraux (PETR).

Gouvernance de la santé

Les députés sont revenus sur le rééquilibrage de la place des élus dans la gouvernance des ARS et la coprésidence du conseil d’administration par le président de région et le préfet de région. Petite consolation pour les élus locaux : le président de l’ARS est assisté de quatre vice-présidents, dont trois désignés parmi les représentants des collectivités au conseil de surveillance. « Les collectivités sont ainsi mieux associées à la gouvernance, a estimé Jean-René Cazeneuve, mais attention de ne pas aller plus loin dans la différenciation des politiques publiques, ici de santé, car les Français n’y sont pas favorables ».

Par ailleurs, les élus seront mieux associés via les projets régionaux de santé qui devront tenir compte des contrats locaux de santé. Les communes et EPCI pourront financer des investissements (mobiliers et immobiliers) des établissements de santé. Comme le Sénat, la commission des lois n’a pas introduit la présidence par les maires des conseils d’administration des hôpitaux, contrairement à la demande de l’AMF.

Prévention des conflits d’intérêts, routes et RSA

Les députés ont maintenu les simplifications déclaratives auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), introduites au Sénat. Ils ont précisé les risques de conflits d’intérêts pour les élus siégeant au sein d’une entreprise de droit privé ou public. La notion d’aide est aussi précisée dans un souci de sécurité juridique et de prévisibilité.

Par ailleurs, l’article 35 du projet de loi prévoit les modalités de mise en œuvre et d’évaluation de l’expérimentation de la recentralisation du RSA, à l’instar de ce qu’a prévu le gouvernement avec le département de Seine-Saint-Denis. La commission des lois a retoqué l’article 35 bis du projet de loi, introduit par le Sénat, qui prévoyait de nouveaux moyens de contrôle du département sur les bénéficiaires du RSA (objectif de lutte contre la fraude).

Par ailleurs, les départements et les métropoles pourront se voir transférer les routes nationales non concédées qui n’ont pas été décentralisées.

Réforme du statut de la métropole Aix-Marseille-Provence

Le projet de loi fera l’objet d’un amendement gouvernemental déposé en séance sur le fonctionnement de la métropole d’Aix-Marseille-Provence. Avec plusieurs objectifs : restituer les compétences de proximité aux communes, simplifier son fonctionnement (suppression des conseils de territoire), rééquilibrer les relations financières entre la métropole et les communes…

Par ailleurs, d’autres amendements gouvernementaux visent à permettre au gouvernement à légiférer par ordonnance comme par exemple sur le bail réel solidaire. Parmi ces amendements figurent aussi la clarification des attributions des acteurs du Grand Paris, la prolongation du délai de planification pour les objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols ou encore la simplification de la procédure de déclaration d’utilité publique de travaux.

Philippe Pottiée-Sperry

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