Elisabeth Borne tend la main aux élus locaux

Philippe Pottiée-Sperry
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Elisabeth Borne tend la main aux élus locaux

Techno et loin des élus locaux ? La Première ministre a voulu casser cette image en les citant à de nombreuses reprises dans sa déclaration de politique générale, le 6 juillet. Elle affirme vouloir les associer sur beaucoup de sujets (transition écologique, logement, santé, petite enfance…). Seule ombre au tableau : la suppression de 8 Md€ de la CVAE est confirmée dès 2023.

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Majorité relative oblige, la Première ministre a donné son discours de la méthode en appelant à « des pratiques nouvelles, un dialogue soutenu et à une recherche accrue de compromis ». « Nous aborderons chaque texte dans un esprit de dialogue, de compromis et d’ouverture », a-t-elle insisté, en appelant à construire des « majorités de projet ».
Lors de sa déclaration de politique générale, devant les députés le 6 juillet, Élisabeth Borne a ainsi tendu la main aux partis de gouvernement mais aussi aux élus locaux qualifiés de « ciment de notre République ». Un exercice important pour la cheffe du gouvernement, souvent qualifiée de « techno », haute fonctionnaire n’ayant jamais eu de mandat local.

« Associer davantage les élus locaux »
Evoquant dès le début de son discours cette nouvelle méthode, elle a affirmé vouloir « associer davantage les élus locaux à nos réflexions et nos décisions ». Des propos qui ont dû sonner agréablement aux oreilles des élus locaux quand elle plaide pour « laisser des marges de manœuvres aux territoires, car c’est dans les solutions différenciées que se trouvent les résultats concrets et la vraie égalité ». Sa déclaration d’amour envers les élus locaux s’est prolongée quelques heures plus tard, devant le Sénat, qu’elle a qualifié de « force de coconstruction au service des territoires ». 
Fait rare, l’AMF a réagi dans la foulée du discours de la Première ministre, pour se satisfaire de cette volonté d’associer les élus locaux, notamment via un « agenda territorial », mais en ajoutant « après les mots, les maires attendent des actes ». Parmi les réactions d'associations d'élus locaux, Intercommunalités de France salue l’accent mis sur la différenciation territoriale et la décentralisation des politiques de l’habitat, alors que Régions de France se félicite de « la volonté affichée de reprendre le dialogue avec les élus » mais attend « des actions concrètes et immédiates ». 
 
« Respect, dialogue et action »
Sur la méthode, Élisabeth Borne a assuré que son gouvernement travaillerait « en lien étroit avec les élus locaux, les meilleurs connaisseurs de leurs territoires ». Et d’affirmer que « la crise sanitaire l’a montré : quand nous travaillons main dans la main, nous pouvons tout surmonter ». 
La Première ministre précise qu’ils seront associés à chaque projet. Notamment sur l’égalité des chances et la cohésion des territoires, elle a défendu « une relation fondée sur le respect, le dialogue et l’action » avec les élus. « Les politiques publiques doivent se construire avec eux », a-t-elle affirmé. 

Des « réponses radicales à l'urgence écologique »
Premier sujet abordé lors de sa déclaration : la transition écologique. Là aussi, Elisabeth Borne souhaite « avancer avec les élus locaux ». Et d’affirmer : « Ils ont en charge l’aménagement du territoire, les transports, l’habitat, les déchets. Nous avons besoin d’eux et c’est le sens même de la création d’un ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Ils seront également des sources d’inspiration, d’initiatives et d’idées. Bien souvent, dans leurs territoires, ils ont montré le chemin ».
Volontaire, la Première ministre a promis des « réponses radicales à l'urgence écologique » en matière de production, de logement, de déplacements ou de consommation. Chaque ministre aura « une feuille de route climat et biodiversité » afin de respecter l’objectif de réduction des émissions de gaz à effets de serre de 55% d'ici à 2030. 

Une loi d'orientation Energie-Climat 
En matière d’habitat, elle a annoncé une amplification de MaPrimeRénov' afin de rénover 700 000 logements par an. Parmi les solutions évoquées : l'ouverture de la caution publique aux classes moyennes, plus de constructions dans les zones en tensions, un pacte de confiance avec les acteurs des HLM… 
La cheffe du gouvernement a rappelé que le mix énergétique français se partage entre le nucléaire et les énergies renouvelables qui feront l'objet d'un projet de loi à la rentrée. « Dès le mois de septembre, nous lancerons une vaste concertation en vue d'une loi d'orientation énergie-climat », a-t-elle précisé, en évoquant une définition « filière par filière, territoire par territoire » des « objectifs de réduction d'émissions, des étapes et des moyens appropriés ». 

Le ferroviaire, « colonne vertébrale d’une mobilité propre »
Par ailleurs, elle appelle à la fin de la culture du « tout-jetable » en affirmant sa volonté de « poursuivre notre sortie d'une société du gaspillage », qui doit passer par le soutien des filières du recyclage et du réemploi. 
En matière de transports, la cheffe du gouvernement affirme que le ferroviaire restera « la colonne vertébrale d’une mobilité propre ». Les investissements pour les petites lignes et les transports du quotidien seront poursuivis. « Partout, des solutions alternatives à l’usage individuel de la voiture thermique devront être construites, a-t-elle ajouté sans donner plus de détail. Partout, nous devrons continuer à soutenir les mobilités propres et actives ». 

Décentralisation du logement
Élisabeth Borne n’a pas promis de grands bouleversements dans les compétences des collectivités mais souhaite « donner de la visibilité et de la stabilité » aux élus locaux pour l’exercice de ces compétences. Elle a tout de même annoncé « un nouvel acte de décentralisation » en matière de logement. Objectif : « concentrer les moyens et les responsabilités à l’échelle des bassins de vie, tout en étant exigeants pour qu’elles permettent aux projets de sortir de terre ». L’annonce signifierait donc d’accorder de nouvelles responsabilités aux intercommunalités.
Reprenant le programme d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle, la Première ministre souhaite « poursuivre la politique de différenciation » afin que « la règle commune [puisse] s’adapter en fonction des spécificités de chaque territoire ». Sur ce même registre, elle veut relancer très rapidement les discussions avec les responsables corses pour aboutir à des solutions concrètes en matière de développement économique ou de transition écologique. « Nous sommes prêts à ouvrir tous les sujets y compris institutionnels », a-t-elle lancé.

Mise en place d'un « agenda territorial »
Sur ces différents sujets, Élisabeth Borne a annoncé le principe d’un « agenda territorial » afin de « donner plus de poids aux élus locaux, plus de lisibilité dans leurs compétences, plus de cohérence dans leur action ». Et d’indiquer que le conseiller territorial pourrait « être un moyen d’y parvenir et de construire les complémentarités indispensables entre départements et régions », reprenant là aussi une promesse de campagne du chef de l’Etat. Des concertations « approfondies » seront lancées l’an prochain. 
En outre, une commission transpartisane sur la réforme des institutions, souhaitée par Emmanuel Macron, sera mise en place à la rentrée.

Plus de « justice territoriale »
Refusant d’opposer territoires urbains et ruraux, la Première ministre a défendu plus de « justice territoriale » avec des défis communs pour les quartiers prioritaires ou ruraux. Et de lister le bâti dégradé, les manques de transports collectifs, l’accès à la santé et à l’emploi ou encore la sécurité. « De tous les territoires, j’entends cette demande commune de justice, de cohésion, de considération », a-t-elle déclaré. Pour les quartiers, elle a évoqué la définition de nouveaux contrats de ville et des opérations de renouvellement urbain. 
S’agissant de la ruralité, elle a annoncé un nouvel agenda rural passant notamment par la poursuite du déploiement de France Services, la lutte contre la fracture numérique (couverture mobile et très-haut débit à terminer) ou encore l’accélération des formations et de l’accompagnement aux usages numériques.

Accompagner les collectivités d’outre-mer  
Les présidents des régions de Guadeloupe, Réunion, Mayotte, Martinique, Saint-Martin et Guyane ont lancé, le 18 mai, depuis Schoelcher (Martinique), un appel solennel à l'État pour qu'il change ses politiques d'aide au développement de leurs territoires frappés par la pauvreté. Élisabeth Borne dit vouloir leur répondre par un accompagnement spécifique du gouvernement « pour soutenir leur développement économique et créer de l’emploi ; pour renforcer la présence des services publics et assurer la sécurité, pour améliorer, avec les collectivités, la distribution d’eau potable, l’assainissement, le traitement des déchets ; pour agir sur toutes les causes de la vie chère, comme dans l’hexagone ». 
Elle promet d’« avancer sur tous ces sujets » mais aussi de « placer les Outre-mer aux avant-postes de la transition écologique ». 

Baisse des impôts de production dans le PLF 2013
Mauvaise nouvelle pour les élus locaux, la Première ministre a confirmé une nouvelle baisse des impôts de production et la suppression de la CVAE (environ 8 Md€), promise par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle. La mesure fera partie du projet de loi de finances 2023, Elisabeth Borne promettant de compenser cette perte de ressource auprès des collectivités. 
En revanche, pas un mot sur l’effort demandé aux collectivités de 10 Md€ sur leurs dépenses de fonctionnement, durant le quinquennat, comme cela avait été évoqué durant la campagne pour redresser les comptes publics (réduction de 20 Md€ dont la moitié à la charge des collectivités). Selon Maire-Info, le quotidien en ligne de l’AMF, Christophe Béchu, le nouveau ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a confirmé le 7 juillet, en marge de l’inauguration du nouveau siège de l’ANRU, que l'effort de 10 Md€ demandé aux collectivités n'était plus à l'ordre du jour compte tenu de la hausse de l’inflation. 

Petite enfance : 200 000 nouvelles places d'accueil
« Mon gouvernement souhaite bâtir avec les collectivités un véritable service public de la petite enfance », a indiqué la Première ministre, reprenant là encore une promesse de campagne du chef de l’Etat. Cela devrait permettre d'ouvrir « 200 000 places d'accueil supplémentaires pour répondre au besoin actuel de solutions de garde des jeunes enfants ». Et de promettre des solutions de garde « proches des domiciles » et « accessibles financièrement ». Elisabeth Borne a également annoncé que le gouvernement accorderait « une aide aux familles monoparentales pour la garde des enfants jusqu'à 12 ans ». A noter aussi l’annonce de l’extension du Pass culture dès la classe de sixième.
Sur la politique du grand âge, elle a tendu la main aux départements pour « travailler ensemble et bâtir un service public efficace, qui réponde aux besoins des personnes âgées et des familles, au plus près des territoires ».

Concertations sur la santé « partout en France » 
En matière de santé, Elisabeth Borne insiste sur la prévention qui doit s’appuyer sur une vision globale des politiques publiques car « prévenir les maladies, c’est agir sur la qualité de l’air, l’habitat, les conditions de vie et c’est prendre en compte les inégalités sociales qui sont aujourd’hui les principaux déterminants de la santé de chacun ». Elle reconnaît ici qu’il s’agit d’un défi que « l’Etat ne peut pas relever seul. Nous travaillerons avec les élus, et en particulier les maires, qui sont nos partenaires privilégiés ».
Face aux inégalités territoriales de santé et aux déserts médicaux, elle souhaite « construire dans chaque territoire une offre de santé adaptée », en se disant « convaincue que les solutions viendront des professionnels, des élus, des patients et du terrain ». Pour cela, des concertations seront lancées « partout en France » dès septembre prochain sur « l'articulation du système sanitaire entre le privé et le public, au niveau local ».

Une réforme de l’AAH
Par ailleurs, la Première ministre s’engage à réformer l’Allocation adulte handicapé (AAH), en annonçant le principe de la « déconjugalisation ». C’est une question de dignité et une avancée très attendue », a-t-elle affirmé. Cette déconjugalisation de l’AAH consiste à la calculer sans tenir compte des revenus du conjoint. De plus, une conférence nationale du handicap se tiendra début 2023. « Nous agirons pour l’accessibilité individuelle, pour l’autonomie des personnes handicapées, notamment financière », a-t-elle indiqué.
Autre annonce : la transformation de Pôle emploi en « France Travail » pour répondre à une « organisation trop complexe [dont] l’efficacité en pâtie ». « Nous ne pouvons plus continuer à avoir, d’un côté, l’Etat qui accompagne les demandeurs d’emploi, de l’autre, les régions qui s’occupent de leur formation et les départements en charge de l’insertion des bénéficiaires du RSA », affirme l’ancienne ministre du Travail.

Philippe Pottiée-Sperry
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